Le mouton noir
au manoir, Justine et les enfants filaient le parfait bonheur. Leur grand-père veillait à ce quâils ne manquent de rien. Depuis le décès de leur mère, les enfants de Fanchon avaient vécu au manoir. Ils avaient maintenant atteint lââge où il fallait décider de leur avenir. Leur père avait insisté pour quâils étudient à Montréal. Marcellin avait acquiescé à sa demande, et le jeune Marcellin et Alexandrine avaient à regret quitté Verchères. Leur préceptrice Nicole leur avait fait part de toutes ses connaissances et elle avait désormais entrepris le même travail auprès du jeune Alexandre et de sa sÅur Isabelle, les enfants de Clément et Justine, en âge de commencer leur apprentissage de la lecture et de lâécriture.
Marcellin était toujours aussi ravi de la présence au manoir de sa bru et de ses enfants.
â Sans vous, se plaisait-il à répéter à Justine, le manoir serait une coquille vide.
â Sans votre hospitalité, répondait Justine, où aurions-nous pu aller?
Les enfants sâétaient vite habitués à la vie calme du manoir. Ils adoraient se rendre avec leur mère pique-niquer au bord du fleuve. Les rares moments où leur père venait au pavillon de chasse, ils lui rendaient visite et en avaient long à raconter au sujet des animaux quâils avaient vus et des jeux auxquels ils se livraient.
Justine travaillait à la confection de ses robes et sâentendait à merveille avec Marie. Elles discutaient de tout et de rien, mais souvent leur conversation tournait autour de Clément. Un jour, Marie avait voulu savoir ce qui avait poussé Justine à le laisser.
â Ton frère est en réalité un grand enfant. Son seul intérêt est de faire fortune à tout prix.
â Il a toujours été un peu comme ça. Il a toujours eu beaucoup de peine à mener à bien ce quâil entreprend. Quand il est parti du manoir pour étudier à Québec, il nâa pas fait un mois au Séminaire. Il a de la bonne volonté et de lâambition, mais il manque de constance.
â Comme tu dis vrai! Il désire notre bien et tient à ce que nous ne manquions de rien, mais il nâest pas encore assez mûr pour tenir bon malgré les obstacles. Peut-être quâun jour, je retournerai vivre avec lui, mais ce jour-là , il devra me démontrer quâil a vraiment changé.
â Je te souhaite bonne chance, ma belle-sÅur, mais je crois que nous pourrons encore profiter longtemps de ta présence et de celle de tes enfants au manoirâ¦
Il y avait maintenant cinq ans que Justine habitait à Verchères. Alexandre, son fils aîné, allait avoir douze ans. Il était devenu lâami de Jeancien, un des fils du fermier. Ce dernier lui avait montré à prendre les lièvres au collet. Ils passaient de longs moments dans les bois des alentours à tendre et à relever leurs pièges. Même si les deux enfants nâétaient pas issus du même milieu, Justine ne considérait pas cette amitié dâun mauvais Åil.
â Cet enfant, disait-elle, apprend à Alexandre ce quâil nâaurait jamais pu savoir autrement. Il nâest pas dans les habitudes des nobles et des bourgeois de courir les bois de la sorte, de savoir pister les animaux et dâutiliser les plantes à toutes sortes de fins, dont celle, non négligeable, de la santé. Voilà pourquoi je ne mâoppose pas à cette amitié.
Marie, quant à elle, se montrait plus réticente:
â Le fils du fermier nâest pas un ange. Il nây a guère de frasques quâon ne lui prête pas et ses plans ne sont pas tous très catholiques.
â Quâimporte! Ce sont encore des enfants, après tout.
Justine pensa ainsi jusquâau soir où Alexandre ne revint pas au manoir. Il était passé sept heures. Le soleil baissait déjà au-dessus du fleuve. Les deux amis étaient partis au milieu de lâaprès-midi du côté du pavillon de chasse avec lâintention de pêcher sur la berge du fleuve. Tout dâabord, Justine ne sâinquiéta pas, mais quand arriva la brunante, elle commença à sâalarmer.
â Ils auront tout simplement eu un contretemps. Si leur pêche du jour nâa pas été bonne et que
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