Le mouton noir
contient, répondit le notaire. Quant à moi, mon devoir est accompli. Vous savez à quoi vous en tenir. Votre père nâétait pas si riche que vous le pensez. La construction du manoir et son entretien ont beaucoup grugé ses avoirs. Seule sa bonne gestion lui a permis de maintenir votre famille au rang quâelle a toujours occupé.
Clément passa la porte en jurant. Dès quâil eut mis les pieds au manoir, ce fut pour sâen prendre à Marie.
â Ne va surtout pas croire, ma chère sÅur, que tu vas tâen tirer facilement pour lâhéritage. Je le contesterai devant les tribunaux!
Justine, qui avait tout entendu, sâapprocha.
â Pourquoi tâen prends-tu à ta sÅur? Depuis la mort de ta mère, si elle ne sâétait pas appliquée à bien gérer le manoir et ses terres, tu ne pourrais rien réclamer.
â Jâai droit à la moitié des revenus des terres et je veux immédiatement ma part!
â Tu as droit à la moitié des revenus annuels des terres, le reprit Marie. Encore faut-il quâil y en ait! Ne va surtout pas croire que nos terres rapportent une fortune chaque année⦠Elles nous permettent de payer leur entretien par le fermier et nous fournissent de quoi nous nourrir décemment tout au long de lâannée. Si tu veux immédiatement toucher ta part, je te la donnerai, mais du coup tu nous priveras, Justine, tes enfants et nos serviteurs, de ce qui nous permet de vivre convenablement.
Justine intervint:
â Iras-tu jusquâà priver nos enfants de nourriture et nous contraindre à retirer Alexandre du Séminaire? Fais cela, Clément Perré, et jamais plus tu ne pourras espérer me voir vivre de nouveau à tes côtés. Le jour où tu gagneras honorablement ta vie, je te reviendrai, mais pas avant.
Les paroles de Justine semblèrent porter, car il se calma et regagna le pavillon. Une fois rendu chez lui, il se rappela la lettre de son père quâil avait glissée dans son pourpoint. Il se dit dâabord quâil allait la brûler, puis il hésita et finalement il la déposa sur la table où il lâoublia: il avait trop à faire dans son atelier de chapeaux.
Chapitre 29
La lettre de Marcellin
Au bout dâune nuit dâun sommeil agité, Clément alla chercher la lettre de son père. Après lâavoir retournée à maintes reprises, il la décacheta lentement et se résolut à la lire.
Cher fils,
Quand vous lirez cette lettre, jâaurai quitté ce monde pour une contrée, je le souhaite, encore meilleure. à vos yeux, je nâaurai pas été le père que vous souhaitiez. Jâignore ce qui en moi vous déplaisait au point de ne pas pouvoir souffrir ma présence. Peut-être ai-je été un père trop strict et trop sévère. Vous étiez le plus jeune de mes enfants. Sans doute vous attendiez-vous à plus de complaisance de ma part. Jâai voulu agir de façon équitable envers chacun de vous. Peut-être mây suis-je mal pris avec vous. Mais sachez bien quâil nây a jamais eu de ma part lâombre de la moindre mauvaise volonté. Je me suis efforcé dâintervenir le moins possible dans votre vie et quand vous avez eu besoin de moi, je nâai pas hésité un moment à vous venir en aide.
Lorsque votre mère est morte, jâavais préparé la part qui vous revenait du partage des biens. Vous nâavez jamais manifesté dâintérêt à la toucher. Jâai tâché de compenser en accueillant chez moi votre épouse et vos enfants. Jâai pourvu à leur entretien et à leur instruction. Je leur ai donné le meilleur de ce que je pouvais donner. Sachez bien que je lâai fait de bon cÅur, car votre épouse est une femme remarquable qui, jâai pu maintes fois le constater, fait dâabord et en tout temps passer le bien de ses enfants avant le sien.
Vous pensiez sans doute, comme bien dâautres, que jâétais très fortuné. Jâavais certes mis la main sur les biens accumulés par mon oncle, mais je nâai jamais pu échanger quâune partie de ces pièces dâor à leur juste valeur, car pour se donner lâillusion dâêtre très riche, lâoncle avait fait lâacquisition dâun grand nombre de fausses
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