Le mouton noir
puisque vos biens ont été saisis et quâil vous sera difficile de travailler de nouveau de votre métier. Je vous condamne à quatre cents livres dâamende et deux mois de prison. Et que lâon ne vous y reprenne plus!
Justine avait été témoin bien malgré elle de toute cette saga. Elle pouvait difficilement blâmer Clément, qui avait été victime dâune décision injuste. Pour une fois, se disait-elle, il gagnait honorablement sa vie. Elle qui nâavait jamais remis les pieds à Québec décida dây aller. Elle y rendit visite à Clément, que ce dernier échec semblait avoir rendu passablement amer.
â Le vieux Lachapelle mâavait dit quâil fallait se méfier de la vie quand elle nous est trop bonne. Il avait raison. Mais je nâai pas dit mon dernier mot. Que je sorte seulement de prisonâ¦
â Je nâaime pas quand tu ne termines pas tes phrases, lui dit Justine. Que mijotes-tu encore?
â Jâai discuté depuis mon arrivée en prison avec un homme qui mâa persuadé quâil y a gros à faire dans le commerce de la baleine. Je possède deux barques. Je saurai bien mâen servir.
Une fois de plus, lâillusion de lâargent vite gagné revenait le hanter. Justine se dit: «Il ne cessera jamais de rêver, mais il a tout de même à cÅur de gagner sa vie.»
Et pour ça, malgré ses écarts, elle nâavait jamais cessé de lâadmirer.
Chapitre 34
Les Pâques
Dès sa sortie de prison, Clément regagna Verchères où il sâinstalla pour un temps au pavillon, attendant la saison de la pêche. En attendant, il travaillait à remettre ses barques en état de voguer. Moins dâun mois après son retour, le curé de Verchères fit sa visite paroissiale. Lors de son passage au manoir, il ne manqua pas de questionner Justine au sujet de Clément.
â Je me suis rendu compte que votre époux ne fréquente guère notre égliseâ¦
â Il est la plupart du temps en voyage.
â Ce nâest pas ce quâon mâa rapporté dernièrement. Ne sort-il pas de prison?
â Il a été injustement incarcéré. Il travaillait paisiblement à la confection de chapeaux de castor quand a paru cette ordonnance.
â Ãa ne lâexcuse pas de sâexempter des sacrements. Depuis quand nâa-t-il pas fait ses Pâques?
Justine, qui nâétait pas elle-même une grenouille de bénitier, ne prisa guère la question et répondit vivement:
â Monsieur le curé, il faudrait le lui demander vous-même.
â Où puis-je seulement le trouver?
â Là où il habite: au pavillon de chasse.
â Et où se trouve ce pavillon?
Justine lâindiqua au curé, qui dit:
â Pourriez-vous aller le chercher?
â Jâignore sâil y est, reprit Justine, et ce nâest pas moi qui désire le voir.
Le curé ressortit du manoir quelque peu aigri, mais il tenait tant à son idée quâil revint le lendemain pour se diriger directement vers le pavillon. Il y trouva Clément en pleins préparatifs de pêche et lâaborda ainsi:
â Bonjour, mon ami! Vous savez qui je suis?
â Je nâai pas cet honneur, répondit Clément. Le devrais-je?
â Certainement, puisque je suis votre curé.
â Quâest-ce qui me vaut votre visite?
â Vous êtes un de mes paroissiens, à ce que je sache. Vous vivez bien ici?
â Cela dépend. Jây suis⦠et je nây suis pas, au gré de mon travail.
â Je ne vous ai jamais vu à lâéglise.
â Câest parce que je nây mets pas les pieds.
â Pourquoi donc?
â Mon travail ne me le permet pas.
â Vous êtes donc un de ces impies qui se permettent dâignorer Dieu et ceux qui le représententâ¦
â Ãa ne me rend pas plus mauvais pour autant.
â Non seulement vous ne fréquentez pas lâéglise, mais vous vous permettez de travailler le dimanche et je suis certain que vous ne faites pas vos Pâques. Vous êtes un mauvais exemple pour toute la paroisse.
â Je nâoblige personne à me prendre en exemple.
â Ne faites pas votre forte tête! Je vous attends pour une confession
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