Le mouton noir
racontant en long et en large sa mésaventure.
à lâapproche de lâautomne, un messager vint porter une lettre au manoir. Lâétat de cette missive laissait voir quâelle était passée entre plusieurs mains. Justine était certaine que cette dépêche, quâelle décacheta dâune main tremblante, contenait des renseignements concernant Isabelle. Tout près dâelle, Marie lui dit:
â Aimerais-tu que je la lise dâabord?
â Je saurai bien le faire.
En reconnaissant lâécriture de sa fille aînée, Justine éclata en sanglots. Marie lui reprit la lettre des mains et commença à lire doucement, à voix haute.
Chère mère,
Vous me voyez extrêmement triste et tellement repentante de toute la peine que je vous ai causée. Mais consolez-vous, je suis toujours vivante. Il arrive parfois dans la vie que lâamour nous atteigne si promptement et nous bouleverse si vivement que nous en perdons tous nos moyens. Voilà justement ce qui mâest arrivé. à un des bals donnés à Verchères, jâai fait la connaissance dâun homme tout à fait merveilleux nommé Fanchère. Câest un coureur des bois notoire. Il parle la langue de plusieurs tribus sauvages et maîtrise à merveille la connaissance des bois. Vous devriez voir comme il est beau. En lâapercevant la première fois, jâai su que nos destins étaient liés. Je le rencontrais à chacune de mes promenades au bord du fleuve. Jâai longuement discuté avec lui de la possibilité de vous le faire connaître, mais jâétais certaine quâune foule dâobstacles, ne serait-ce que mon âge, nous auraient empêchés de réaliser notre rêve de vivre ensemble jusquâà la fin de nos jours. Voilà pourquoi nous nâavons rien trouvé de plus pertinent que de disparaître au loin avant de vous prévenir par cette lettre que vous avez maintenant en main.
Depuis, je ne quitte plus Fanchère, le suivant dans tous ses déplacements. Au moment où je vous écris, nous sommes à plus de mille lieues de vous, en pleine forêt, à vivre un peu tous les jours à la manière des Sauvages, mais heureux et libres comme ces enfants des bois. Ne vous inquiétez pas à mon sujet. Je crois que je nâai jamais connu bonheur plus grand que celui dâêtre entre les bras et sous la protection de Fanchère, que je considère comme mon époux même si nous ne sommes pas mariés devant Dieu ni devant les hommes.
Un jour sans doute, quand le moment approprié sera venu, je vous reviendrai avec mon époux et les enfants que nous aurons eus ensemble. Vous saurez me dire alors que mon choix était fort judicieux. Pourquoi aurais-je dû attendre quelques années de plus pour vivre pareil bonheur? Lââge que nous avons y change-t-il quelque chose? Jâignore si vous me pardonnerez dâavoir agi de la sorte, sachant que vous ne méritiez pas une telle épreuve. Mais si vous êtes comme toute mère, et que vous voulez le bonheur de votre enfant, je sais que, me sachant heureuse, vous saurez oublier la peine profonde que je vous ai causée.
Sachez que pas une seule journée je nâai cessé de penser à vous et à mes deux sÅurs, de même quâà la si bonne Marie, en me disant quâun jour peut-être pas si lointain, je vous reviendrai et que nous ferons encore retentir de rires et de chansons les murs du manoir de Verchères. Pour lors, je me contente de goûter à plein chaque jour les bonheurs qui sont miens en vous souhaitant dâen vivre dâaussi bons.
Ne vous inquiétez pas, chère mère, de mon sort: il est entre bonnes mains. Ne vous donnez pas la peine de tenter de me retrouver. Nous nous déplaçons si souvent à travers les bois de nos vastes contrées que je ne peux pas vous dire où je serai demain. Mais quâimporte où mes pas me mènent, mes pensées nâont de cesse dâaller vers vous. Si, un jour, nous nous arrêtons pour vivre plusieurs mois au même endroit, je vous écrirai pour vous en informer et obtenir de vous des nouvelles qui me réchaufferont certainement le cÅur.
Je vous embrasse, de même que mes sÅurs, la bonne Marie et tous ceux que jâaime, en vous assurant de mes meilleurs souvenirs.
Votre fille affectueuse
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