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Le mouton noir

Le mouton noir

Titel: Le mouton noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Langlois
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ce qu’ils mangent, donc, et ce qu’ils boivent!
    Curieux d’en savoir plus, je lui fis raconter comment se passaient ces repas et ces bals.
    â€” Après dîner, toutes les jeunes filles de la bourgeoisie, en compagnie de leur mère, se retrouvent au palais ou ailleurs, chez l’un ou l’autre bourgeois où se donne le bal. L’intendant y fait transporter vaisselle, vivres et boissons. On se réunit au salon. Des musiciens font danser le menuet. Les messieurs invitent les demoiselles, qui ne se font pas prier pour briller au milieu de la place. L’après-midi y passe et plus le temps file, plus ces messieurs amoureux du bon vin sont gris et moins sûrs de leurs pas de danse. Il n’est pas rare de voir l’un ou l’autre s’effondrer, lui d’un bord et sa perruque de l’autre! Chaque fois, on s’empresse autour du malheureux. On parle bien sûr d’étourdissement et on fait vite asseoir le pauvre homme en attendant avec impatience le repas. Parfois, un de ces messieurs s’endort sur place et si on n’y prête pas garde, il roule soudain sous la table.
    â€” J’aimerais, dis-je, être un petit oiseau, pour assister à pareille mascarade. J’y aurais beaucoup de plaisir.
    â€” Point n’est besoin d’être un petit oiseau, reprit Justine, fais-toi maître d’hôtel!
    â€” Ces messieurs, dis-je, n’ont donc rien d’autre à faire que de courir les bals?
    â€” Leur fortune leur permet de ne rien faire et ils tuent le temps de la sorte.
    â€” Ce qui me préoccupe, ajoutai-je, c’est bien de savoir d’où vient leur fortune.
    â€” Eux, ça ne semble pas les inquiéter, à les voir s’empiffrer aux repas. Il faut dire qu’ils peuvent y manger de tout, car rien n’y manque, du porc au lièvre en passant par le daim et, même, me croiras-tu, du cheval! On le sert de toutes les façons, sauf en soupe. Il y a de petits pâtés de cheval à la façon espagnole, du cheval à la mode, de l’escalope de cheval, du filet de cheval à la broche avec une poivrade bien liée, des semelles de cheval au gratin, de la langue de cheval au miroton et du gâteau de cheval. Ces messieurs disent que c’est meilleur que l’orignal, le caribou ou le castor.
    Ce que Justine me disait là ne manqua pas de me rappeler un fait qui était depuis longtemps sorti de mon esprit, mais qui se passa à peu près en ce temps-là, je pense bien, quand il y eut disette de pain. Pour éviter que les pauvres crèvent de faim, le gouverneur fit remplacer le pain par des rations de bœuf et de cheval. Les femmes se soulevèrent et se rassemblèrent pour protester devant les portes du gouverneur. Monsieur de Vaudreuil sortit et demanda:
    â€” Dites-moi, mesdames, ce qui vous met tant en émoi?
    L’une d’elles répondit au nom de toutes:
    â€” Nous ne mangerons pas de cheval, monsieur, parce qu’il est ami de l’homme.
    Une autre alla même jusqu’à ajouter ce précepte issu de son imagination:
    â€” La religion nous défend de les tuer et nous aimerions mieux mourir que d’en manger.
    Voyant qu’il n’aurait jamais le dessus avec elles, le gouverneur demanda aux sieurs Monrepos et Martel, respectivement juge de police et commissaire de la Marine, de les mener à la boucherie afin qu’elles constatent par elles-mêmes le bon état des viandes chevalines. Ils en furent pour leur peine. Une fois à l’abattoir, les femmes se récrièrent:
    â€” Nous n’en prendrons jamais!
    Le sieur Martel ayant insisté pour leur en donner, elles en prirent et, se dirigeant de nouveau directement chez le gouverneur, elles jetèrent le tout à ses pieds. Il faut dire que si ces femmes se laissaient prier pour en manger, les bourgeois dans les bals s’en régalaient à s’en rendre malade. Il n’était pas rare, au dire de Justine, que plusieurs de ces messieurs sortent de ces bals vers les trois ou quatre heures du matin, complètement saouls.
    â€” J’en ai vu après souper danser le menuet comme s’ils étaient âgés de cent ans, tellement ils avaient peine à bouger. Mais le pire, c’est qu’en sortant du bal de l’intendant, ils se retrouvaient bien souvent chez l’un ou l’autre pour

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