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Le mouton noir

Le mouton noir

Titel: Le mouton noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Langlois
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avec les amis de l’intendant. Bréard, en particulier, me semblait de plus en plus désemparé. Il venait presque tous les jours au palais. Le secrétaire Deschenaux, qui se montrait plein de sollicitude pour ces hommes et qui leur aurait volontiers léché les bottes, lui demanda un jour:
    â€” Monsieur Bréard, vous me semblez bien mal en point…
    â€” Ah! Si vous saviez comme je suis malade! L’air de ce pays ne me convient point. Il me faudra repasser en France avant longtemps, sinon j’y laisserai ma peau.
    â€” Monsieur l’intendant appuiera volontiers votre rappel.
    â€” Je n’en doute point, mais peut-être sera-t-il trop tard. Il faut des mois en ce pays avant de recevoir une réponse de la mère patrie. Mon état ne souffrira pas une telle attente.
    Il faut croire que Bigot n’était pas trop pressé de se défaire de ses services, parce qu’on revit régulièrement Bréard en pèlerinage au palais pour supplier son ami de le laisser partir. Bigot était pris entre l’arbre et l’écorce; il avait une grave décision à prendre. Il lui fallait remplacer le contrôleur par un nouvel homme de confiance. Il jeta son dévolu sur son ami Martel comme contrôleur intérimaire, tout simplement parce qu’il se fit remplacer par Varin, le temps de se rendre lui-même se faire voir en France.

Chapitre 49
Le retour de Bigot
    Il n’est que de causer avec les gens pour se rendre compte à quel point nous sommes impuissants devant ceux qui nous dirigent. Tout le monde se plaignait, mais personne n’avait vraiment les moyens de changer quelque chose. Je voyais bien que nos dirigeants se servaient de leur situation pour s’enrichir. Ce qui m’étonnait le plus, c’était qu’ils le faisaient impunément.
    L’intendant étant passé en France en 1754, mon ami Huberdeau me dit:
    â€” De deux choses l’une: ou il y va pour se disculper aux yeux du roi, ou il y va pour obtenir des faveurs.
    â€” Je crois que là-bas, en haut lieu, certains se rendent compte que son administration laisse à désirer. Il devait sans doute sentir la soupe chaude.
    â€” Peux-tu justifier ce que tu dis? demanda Huberdeau.
    â€” Justement non. Mais si moi, qui ne suis qu’un simple commis aux écritures, j’en suis venu à le soupçonner d’être derrière toutes les malversations qui se passent au pays, j’imagine qu’en France, le ministre et ses assistants doivent bien se rendre compte que tout ne tourne pas rond en Nouvelle-France. Aussi, sans doute devait-il aller se justifier devant ses pairs.
    â€” Il est vrai que certains lui reprochent amèrement sa conduite.
    â€” En effet, dis-je, j’ai pu m’en faire une idée à la lecture d’une lettre que le ministre lui a fait parvenir.
    â€” Par contre, d’autres le louangent outrageusement.
    â€” Tu as tout à fait raison. Je viens de m’en rendre compte lorsque, tout à fait par hasard, j’ai mis la main sur un bout de lettre écrite par le sieur Gaultier, son médecin.
    â€” Vraiment? Et que disait-il?
    â€” Qu’il est sûrement un des meilleurs intendants du roi. Qu’il est juste, extrêmement zélé pour le service du roi et de l’État. Qu’il a un esprit vif et pénétrant, en un mot, qu’il est aussi propre à être premier ministre qu’intendant. On peut dire qu’il a toutes les plus éminentes qualités qu’on puisse souhaiter retrouver chez un grand homme.
    â€” En voilà un, fit remarquer Huberdeau, qui doit être en quête de quelques faveurs. Tu sais que l’intendant fait la traversée en bonne compagnie, puisque son ami Péan et la belle Angélique, qui ont sans doute ramassé suffisamment de sous pour vivre à Paris, vont s’y établir.
    â€” Il ne pouvait certainement pas faire ce voyage sans la compagnie de sa maîtresse…

    Bigot passa quelques mois en France et nous revint précipitamment, toujours en compagnie de Péan et de la belle Angélique. Qu’avait-il fait en France? Je l’ignorais, mais son retour précédait de quelques jours l’arrivée de plusieurs milliers de soldats, ce qui laissait présager l’état de danger grandissant qui guettait notre pays.

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