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Le mouton noir

Le mouton noir

Titel: Le mouton noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Langlois
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C’était d’ailleurs afin de préparer leur venue que Bigot revenait en vitesse de France sur une frégate. Mais j’appris bien vite qu’une autre raison l’avait forcé à se dépêcher d’être à Québec: on y attendait en effet l’arrivée du nouveau gouverneur, le sieur Rigaud de Vaudreuil. Bigot le reçut en même temps qu’il accueillait à sa table les officiers nouvellement arrivés. Ce fut, au dire de Justine, une soirée grandiose et mémorable où les dirigeants du pays s’empiffrèrent à qui mieux mieux. Dès cette première soirée, me raconta Justine, le feu s’alluma entre le nouveau gouverneur et l’intendant.
    â€” Vous êtes le bienvenu dans nos murs, dit l’intendant. Ils seront désormais les vôtres.
    Le sieur de Vaudreuil répondit d’un ton mesuré:
    â€” Pourvu qu’il en reste toujours quelques-uns debout.
    Sa réflexion laissait entendre que le nouveau gouverneur avait l’intention de mettre de l’ordre dans la cabane. Jusque-là, Bigot avait fait un peu tout ce qu’il voulait. Vaudreuil semblait déjà informé des abus de l’intendant, car son premier geste fut d’abolir la Société du Canada. En apprenant la chose, le secrétaire Deschenaux, à l’encontre de ses habitudes, rouspéta ouvertement. Je l’entendis dire:
    â€” Quelle stupidité de dissoudre une société si utile au pays!
    Comme j’ignorais ce qu’elle était, une fois de plus j’eus recours aux lumières de mon ami Huberdeau. Comme négociant, il devait être informé du rôle de cette société. Je ne m’étais pas trompé, car il satisfit ma curiosité:
    â€” Il n’y a pas un négociant de ce pays qui ne se réjouit pas de la dissolution de la Société du Canada. Elle avait pour directeurs Bigot, Bréard et Gradis.
    Le lendemain, la bande à Bigot arriva à la dérobée au palais. J’étais bien placé pour les voir, car il leur fallait passer par nos appartements pour rejoindre ceux de l’intendant. Ils avaient la mine basse. J’étais certain qu’ils allaient réagir, à commencer par Bigot, qui détenait le pouvoir d’ordonner. Il ne manqua pas de le faire. Nous, du secrétariat, fûmes les premiers à l’apprendre. Deschenaux, qui les appuyait, nous réunit pour nous donner des instructions:
    â€” Nous avons à produire, le plus tôt et le mieux qu’on le pourra, des affiches d’une importance majeure.
    Il s’agissait en fait de s’assurer que les ordonnances de l’intendant soient reproduites en nombre suffisant pour être affichées à la porte de toutes les églises. Une première ordonnance tomba. Sous prétexte que le pays était en guerre, Bigot interdisait aux marchands de Québec de vendre des provisions aux équipages des navires de France.
    Quand mon ami Huberdeau vit paraître cette ordonnance, il me dit:
    â€” Ce n’est là que le début de son offensive. Il va certainement aller plus loin.
    â€” Pourquoi?
    â€” Il a besoin d’autres moyens que sa société frauduleuse pour continuer à faire sa fortune. Le gouverneur n’a pas été long à se rendre compte de son trafic avec Bréard et Gradis.
    â€” Qui est Gradis?
    â€” Un des gros marchands juifs de Bordeaux. Bigot et lui sont comme les deux doigts de la même main. Ajoute-leur Bréard, Cadet et Péan, et tu as la main entière pour vider tes goussets.
    Huberdeau avait raison, car après avoir laissé filer quelques mois, Bigot fit sceller tous les bluteaux de la Pointe-de-Lévis jusqu’à Kamouraska ainsi qu’à l’île d’Orléans et la Côte-de-Beaupré. Seulement deux moulins ne furent pas touchés, ceux de Péan et de Cadet. Seuls ces deux-là pouvaient continuer à produire de la farine.
    L’ordonnance était à peine décrétée qu’on vit paraître au palais la Sultane et son mari. Angélique et Péan exultaient. Une réunion secrète se tint chez l’intendant.
    â€” Ils sont à faire le partage de leurs profits anticipés, grogna Hubert, le premier des serviteurs.
    â€” La Sultane va coucher ici ce soir, insinua une des femmes de chambre.
    â€” C’est

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