Le nazisme en questions
apporté au NSDAP naissant.
5 . Beaucoup d’auteurs français et étrangers continuent d’écrire que cette adresse fut « signée par les grands noms de l’industrie allemande », dont Krupp, Siemens, Reusch, Bosch, etc. L’erreur provient d’une confusion entre l’adresse elle-même, dont H. A. Turner donne les dix-neuf signataires réels, et un brouillon retrouvé dans les papiers de von Schroeder, qui prévoyait de contacter une série de noms prestigieux, un document utilisé au procès de Nuremberg.
6 . Sur ce point, voir l’analyse réalisée dès 1942 par Franz Neumann, Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme, 1933-1944 , Payot, 1987, pp. 229 sq.
7 . Cf. Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe , Fayard, 1987, pp. 84 sq.
« Et le monstre se mit à fasciner »
L’Histoire : Comment expliquer le succès du parti nazi et de Hitler entre 1932 et 1933 ? Repose-t-il entièrement sur la personnalité du chef ?
Ian Kershaw : Il faut, comme dans toute analyse d’une dynamique politique, tenir les deux bouts de la chaîne : Hitler et son parti d’un côté ; les électeurs de l’autre. Il y a, en somme, une rencontre conjoncturelle entre les aspirations au pouvoir d’une secte nationaliste et les aspirations au changement d’une partie de l’opinion allemande.
Donc, d’un côté, Hitler. Dès le début des années 1920, il est en possession de ce qui sera sa vision du monde, organisée autour de trois axes : 1) une conception de l’histoire comme lutte entre les races ; 2) un antisémitisme sans concession ; 3) la conviction enfin que l’avenir de l’Allemagne dépend de la conquête d’un « espace vital » aux dépens de la Russie.
Hitler, agitateur démagogue de brasserie jusqu’au milieu des années 1920, se pense plutôt comme le prophète annonçant la nécessaire venue d’un sauveur de l’Allemagne que comme le rédempteur lui-même. Ce n’est qu’en 1924, lors de sa détention à la forteresse de Landsberg, où il est enfermé pour avoir organisé unputsch à Munich, qu’il en vient à penser qu’il est, lui, ce « grand homme » dont il annonçait la venue. D’où la structuration accélérée de son mouvement autour du seul culte du chef.
Deuxième élément clé de l’émergence du national-socialisme comme phénomène de masse : ce culte du chef est au diapason d’une vision du monde répandue dans l’opinion allemande. Pour le dire à grands traits, l’histoire « nationale » allemande est alors idéalisée, puisque l’unité a été tardive et partielle. Elle a donné naissance, notamment dans les milieux bourgeois, à une vision héroïque de la politique : à côté de quelques noms tels ceux de Goethe ou de Beethoven, apparaissent Frédéric le Grand ou Bismarck.
Dès les années 1920, avant même que Hitler ne se fasse connaître, l’idée que l’Allemagne avait de nouveau besoin d’un « grand homme », sorte de guerrier, de grand prêtre et de politique qui guérirait le pays de ses maux et de ses divisions et rendrait au Reich sa grandeur, est répandue dans les milieux de droite.
L’H. : Hitler incarne-t-il tout à coup l’idéal des Allemands ?
I. K. : Les nationaux-socialistes sont mis en selle dans un contexte où l’avenir de la démocratie parlementaire est compromis, mais où une dictature nazie est, de loin, le plus improbable. L’opinion imagine plutôt une forme de régime autoritaire qui pourrait être une dictature militaire : l’arrivée au pouvoir de Hitler tient davantage à un concours de circonstances fortuites et aux erreurs de calcul des conservateurs qu’à son action personnelle.
Une erreur de perspective est souvent commise : celle de relire les quelques mois de l’émergence du national-socialisme entre 1930 et 1932 à la lumière de ce que sera le régime nazi dès 1933-1934. En effet, la propagande du régime, une fois Hitler au pouvoir, avec la formidable mobilisation des moyens radiophoniques et cinématographiques, comme avec la diffusion à des millions d’exemplaires de Mein Kampf , bref cette saturation et cette confiscation de l’espace public au seul profit d’un homme laissent encore trop accroire que Hitler serait parvenu au pouvoir grâce à la magie de son verbe et à la puissance de ses écrits. La réalité est beaucoup plus complexe.
En 1932, sur les 13 millions d’Allemands qui votent pour Hitler, rares sont ceux qui l’ont approché.
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