Le nazisme en questions
mesures de terreur,particulièrement cruelles en Pologne et en Russie occupée. Les victoires nazies sont mises en exergue alors que la résistance locale est assimilée à un terrorisme, essentiellement mené par des communistes et des étrangers.
Cependant, malgré l’intégration de ces pays au territoire économique du Reich, malgré le soutien apporté aux mouvements fascistes locaux, la désintégration de la société traditionnelle ne peut être menée à son terme. Les cadres des partis et des syndicats dissous, les Églises, les mouvements de jeunesse exercent une contre-propagande. Au reste, les populations réalisent très vite la contradiction entre le discours et la réalité que révèlent la tyrannie, l’exploitation économique, le mépris des peuples et de leurs dirigeants, même fascistes. Jamais ces pays ne sont totalement isolés de l’information venue de Londres, de Suisse ou de Moscou, et nulle part, sauf peut-être en Finlande et en Roumanie, le sentiment national ne se mobilise pour la cause de l’Europe hitlérienne.
Ni l’inflexible volonté du Führer, ni la supériorité intrinsèque de la race germanique ne deviennent des articles de foi. Les gouvernements qui s’associent au Reich dans la guerre s’empressent de traiter avec l’adversaire dès que le territoire national est envahi. Aucun ne nourrit d’incroyables espoirs dans les armes nouvelles promises par la propagande nazie et aucun ne veut surtout que son pays sombre dans le cataclysme final, comme Hitler sait encore le faire accepter aux Allemands.
Ce ne sont pas les seules techniques modernes de la propagande, pourtant très bien mises au point par les nazis, qui expliquent son succès, mais l’adaptation assez remarquable de ses thèmes à ce qu’une large fraction de la population allemande souhaite entendre à un momentde son histoire. Certes, l’emprise du nazisme sur la société ne s’explique pas sans l’utilisation des moyens d’expression contemporains. Mais elle bénéficie aussi de circonstances favorables : le déracinement des ruraux, l’urbanisation rapide du pays, le développement des moyens de transports avaient donné naissance à une société de masse. Hitler réussit fort bien à adapter son action publicitaire aux possibilités que lui offrait cette société où l’homme, diminué par la révolution industrielle, avait soif de vérités sommaires et rassurantes.
À force de tout subordonner au paraître et à la manipulation des masses, le nazisme n’a rien créé de durable, ni en Allemagne, ni à l’extérieur. Il était vide de contenu. Il fut la victime de cette propagande qui l’a entraîné à la démesure, au crime et à la catastrophe parce qu’il n’existait que par elle.
Goebbels, un génie ?
L’étrange figure de Joseph Goebbels reste comme celle du propagandiste absolu, sorte de mélange de prophète et de publicitaire qui à lui seul aurait inventé l’image du III e Reich. Considéré comme un maître dans l’art de la manipulation de masse, il est entré de son vivant dans le panthéon noir des âmes damnées des dictateurs. Mais, en ouvrant les archives du parti nazi, en scrutant les décisions importantes en matière de communication du III e Reich, une lecture bien plus nuancée s’impose 10 .
Quel était le pouvoir réel de Goebbels ? De quels moyens politiques et matériels disposait-il et quelle fut sa part personnelle d’invention de la propagande nazie ? Finalement, quel rôle a-t-il joué dans l’histoire des techniques d’influence ? Pour dire les choses simplement : Goebbels est loin d’avoir tout inventé en matière de propagande sous le nazisme.
Hitler lui-même est le premier responsable de la propagande du parti nazi, quand, en 1919, il devient un de ses dirigeants. Sa théorie de la propagande encadre celle de Goebbels et la conditionnera largement.
Pour le NSDAP, Hitler décide d’un symbole, inspiré par un mouvement antisémite d’avant 1914, la croix gammée ; il choisit le rouge du drapeau pour situer son parti du côté des ouvriers et faire de la concurrence aux communistes ; il dessine les uniformes des différents organes du parti ; tel un graphiste, il compose même les premières affiches, texte et image. C’est lui l’inventeur de la symbolique nationale-socialiste. Goebbels à cette époque n’est même pas encore membre du NSDAP. En un sens, il est tard venu dans l’organisation puisqu’il prend
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