Le nazisme en questions
parti pour les questions agricoles et ministre de l’Agriculture. Ou encore Himmler, le chef de la SSdevenu en 1936 chef de la police allemande et qui entendait s’émanciper à la fois de l’État et du parti pour devenir le dirigeant d’un appareil d’exception au service exclusif de Hitler.
Ces développements firent que le régime prit l’allure d’une jungle organisationnelle, d’un enchevêtrement institutionnel qui défie tout report en organigramme. De façon tout à fait caractéristique, aucune tentative d’ordonnancement ne fut jamais menée. De nouveaux organismes furent créés, des pouvoirs nouveaux distribués sans que les anciens fussent supprimés ou l’ensemble rationalisé. On retrouve ici le comportement que Hitler avait déjà manifesté à l’égard de son parti. Et, de fait, passé la période des débats où il s’astreignit à un travail régulier, il reprit ses habitudes de bohème, passant la nuit à deviser avec son entourage et résidant souvent hors de Berlin.
Pendant la guerre, il s’enterra dans des bunkers à l’Est, se consacrant à la direction de la guerre et se déchargeant sur Göring des affaires gouvernementales. Le rôle de son entourage devint décisif avec l’éloignement géographique, le contrôle de l’accès au Führer et la transmission de ses directives représentant désormais un pouvoir dont Bormann, le successeur de Hess après la « fugue » de ce dernier en Angleterre, saura tirer le meilleur parti 31 .
Au total, le régime que décrivent les historiens fonctionnalistes apparaît éclaté en de multiples appareils concurrents. Et cet éclatement s’accompagne logiquement d’un cloisonnement croissant. L’information elle-même est devenue un enjeu en même temps qu’un moyen de pouvoir. Comme nous l’apprend son journal, Goebbels ne prend connaissance de la Solution finale qu’en mars 1942, trois mois après la convocation de la conférence de Wannsee à laquelle il n’avait pas été invité à se faire représenter. Quant à Hitler, il coiffe le régime mais ne gouverne pas à proprement parler. Aussi, vu sous l’angle de son fonctionnement, le III e Reich mérite-t-il, selon les fonctionnalistes, d’être appelé une « polycratie », un conglomérat de pouvoirs rivaux.
Comment expliquer pareil développement ? Les intentionnalistes ne méconnaissent pas la jungle administrative du régime, mais ils y voient un phénomène somme toute secondaire, qui ne gênait en rien le pouvoir de décision suprême de Hitler, qui le favorisait au contraire. Selon eux, le Führer divisait pour régner et attisait sciemment les rivalités entre ses lieutenants.
Les fonctionnalistes, pour leur part, reconnaissent sans difficulté la place centrale de Hitler : tous les responsables nazis acceptaient comme légitime sa domination. Mais ils refusent d’en conclure qu’il ait pour autant exercé un pouvoir souverain en modelant le régime selon ses vœux et en fixant les objectifs à atteindre. Selon eux, son autorité était davantage symbolique que réelle. Le Führer sanctionnait plus qu’il ne fixait la politique du régime, et celle-ci n’était au fond qu’une succession de mesures improvisées et toujours plus radicales, engendrées par la dynamique anarchique du système.
C’est un point de vue qui a été vigoureusement contesté dans la gent historienne, et qui est en effet contestable puisqu’il repose sur deux thèses peu convaincantes.
1. La première veut que le développement polycratique du régime, loin d’être la conséquence d’une pratique machiavélique, ait été le résultat d’un style de direction qui condamnait en quelque sorte Hitler à l’inaction. Fondamentalement préoccupé par la sauvegarde de son prestige et le maintien de sa popularité, il devait se tenir à distance, ne pas prendre parti dans les conflits, laisser les choses se régler d’elles-mêmes. Du coup, il ne pouvait qu’assister, impuissant, au déchaînement des rivalités entre ses lieutenants et au débridement institutionnel qui en était la conséquence.
2. La deuxième thèse est que son idéologie était de nature visionnaire, sans aucun contact avec la réalité et, de ce fait, incapable de fournir un programme d’action ; elle s’épuisait en des slogans de nature générale, car c’était là le seul moyen de mobiliser le peuple allemand sans léser aucun intérêt concret. Mais, du fait qu’ils étaient émis par le
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