Le neuvième cercle
bout de quelque temps, ils aperçurent dans le lointain les portes d’un autre camp de concentration : Ebensee.
— Comme leur qualité de membre d’un « kommando spécial » leur interdisait de se mêler à la masse de déportés, on les parqua dans un local abritant les lavabos réservés aux S.S. et situé sur une hauteur, à quelque distance du camp proprement dit. Là, on leur distribua en fait de nourriture pour toute la journée, une méchante boule de pain à partager en huit et environ 75 centilitres d’une eau chaude dans laquelle nageaient des épluchures de pommes de terre. Ils n’avaient plus qu’à attendre l’arrivée des soixante-dix autres prisonniers relevant de leur groupe. Ceux-ci se présentèrent le soir même au nombre de trente seulement, car on manquait de moyens de transport.
— La surveillance de ces cent hommes, parmi lesquels se trouvait Burger, était exercée par le S.S. Oberscharführer Jansen qui manifestait des signes d’impatience en raison du retard constaté dans la venue du dernier contingent. Or, celui-ci se faisait de plus en plus attendre et l’Allemand avait toutes les peines du monde à se dominer. Au cours d’une déclaration prononcée devant son effectif, il prit soin de mettre en garde les prisonniers contre toute tentative d’évasion et d’annoncer que deux d’entre eux avaient déjà été fusillés à la suite d’une telle initiative. « Le reste du kommando est en route », ajouta-t-il en terminant.
— La nuit qui suivit fut extrêmement pénible, car le local qui leur avait été affecté était trop étroit pour permettre aux occupants de dormir autrement qu’accroupis. Au demeurant, nul ne songeait à se laisser aller au sommeil, tous se rendaient compte avec acuité que leur fin était proche…
— On xcvi nous proposa de nous retirer dans les casemates où nous serions plus à l’abri des bombardements que les Américains préparaient contre les concentrations de troupe dans cette région. Nous avons refusé d’y entrer, il était trop facile pour les S.S. de provoquer l’effondrement de la roche pour nous ensevelir vivants. Les bouches closes ne peuvent plus parler. Nous ne recevions aucune nourriture. Nous avons mangé l’herbe et les rares escargots que nous avons pu trouver à proximité de la baraque. Nous avions compris que les S.S. voulaient monter l’imprimerie quelque part dans la montagne mais les routes étaient bloquées.
— Le xcvii 5 mai au matin, les prisonniers du « kommando spécial » observèrent de leurs fenêtres un spectacle inhabituel qui se déroulait en bas dans le camp. Aucune trace des équipes se rendant au travail, mais seulement la vue de silhouettes décharnées errant sans but. Puis, le signal de rassemblement général. On allait peut-être évacuer ? Non, car au bout de quelques minutes les prisonniers rompirent leurs rangs tandis qu’un vent de panique s’abattait sur les S.S. qui, abandonnant leur poste, se débarrassaient de leurs armes et s’enfuyaient en courant. Ceux du « kommando spécial » se regardèrent en silence, ne sachant pas comment interpréter cette animation. À ce moment, l’Oberscharführer Jansen fit son entrée dans leur block. Lui, toujours si maître de ses réactions, présentait maintenant un visage défait. Ses mains étaient secouées de tremblements et sa voix était à peine perceptible.
— « Vous n’avez pas à vous en faire, leur dit-il. Je vais vous faire prendre en charge par la Croix-Rouge. Mais il faut que vous me donniez votre parole de ne jamais rien révéler de ce que vous avez vu et de ce à quoi vous avez travaillé. Si vous me trahissez, j’y laisserai ma peau. »
— La peur lui suait par tous les pores. L’auditoire se tenait immobile, incapable de réaliser ce qui venait de lui être annoncé. Puis, sa joie éclate et, pendant toute la durée du trajet jusqu’au camp, tout le monde ne cessa d’exhaler ses sentiments de bonheur. Certes, une rafale de mitrailleuse pouvait encore les faucher, mais chaque pas accompli s’accompagnait d’un regain de vitalité intérieure qui faisait presque oublier ce danger.
— Arrivés devant le camp, la première chose qui les frappa ce fut l’absence de S.S., remplacés par un détachement commandé par un colonel de la Wehrmacht. Ce dernier engagea avec Jansen un bref dialogue.
— « Je suis chargé de vous confier ces prisonniers…
— « D’où
Weitere Kostenlose Bücher