Le neuvième cercle
depuis longtemps qu’un subordonné ne discute pas l’ordre d’un supérieur et obéit, conformément au dressage auquel il a été soumis, c’est-à-dire au pied de la lettre. Il confia le chargement du premier camion, celui de Redl-Zipf, à un capitaine, sans toutefois le renseigner sur sa nature et fit jeter les caisses chargeant le second dans la Traun grossie par la fonte des neiges. Avec le reste du convoi, il se mit en route vers Aussee. Il y rencontra Kalterbrunner qui, entre-temps, était rentré et qui lui donna l’ordre de livrer sa cargaison au lieutenant-colonel de S.S. Skorzeny, ce chef de groupe du VI e bureau du service central de la sécurité de l’État, bien connu du public pour avoir libéré Mussolini. Skorzeny avait établi son quartier général dans le voisinage de Radstadt, dans le pays de Salzbourg, où il entendait organiser l’ultime résistance, dans la montagne.
— Mais le consciencieux lieutenant ne parvint pas à joindre Skorzeny. Le convoi ne put franchir la passe étroite au pied du Grimming, à près de 2 500 mètres d’altitude. Son chef ne pouvait plus en référer à l’autorité supérieure : il lui fallait agir sous sa propre responsabilité et mettre en « sûreté » le chargement qui lui avait été confié. À Toplitzsee, dans une vallée voisine de Aussee, il trouva une formation militaire intacte qui montra de la compréhension. C'était une unité spéciale chargée de la marche d’une station d’essais de la marine allemande. On avait probablement choisi le lac de Toplitz parce qu’il est dans une région peu fréquentée au pied de Totengebirge. Ses rives sont rocheuses et abruptes au point qu’il est impossible d’en atteindre les bords même à pied. On y pouvait, en toute tranquillité, procéder à des essais d’armes nouvelles. On ne connaît pas encore aujourd’hui leur nature ; il s’agissait sans doute « le torpilles « pensantes », de celles qui, lancées, trouvent automatiquement leur but – une arme qui devait connaître certains développements, après la guerre, dans bon nombre de pays.
— J’appris tout cela beaucoup plus tard, mais je n’ai jamais pu savoir ce qu’il était advenu du transport. Il n’a pas laissé de traces et on ne peut qu’échafauder des hypothèses. Il est sûr, en tout cas, que le convoi n’est pas parvenu à sortir de la vallée qui descend à Toplitzsee. Elle était complètement embouteillée et ce n’est qu’après l’arrivée des troupes américaines, le 9 mai, qu’on put rendre la route à la circulation.
— Les autos de la station d’essais de la Marine sur le Toplitzsee – un camion et trois voitures dont les marques (elles portaient les lettres W.M. : Wehrmacht Marine) et les numéros S.S. attiraient l’attention – avaient été aussitôt envoyées par les Américains au grand dépôt automobile qu’ils avaient établi en Haute-Autriche. Non sans les avoir consciencieusement fouillées. La section américaine de renseignements qui s’était installée à Altaussee avait appris de la population l’existence de la mystérieuse station d’essais établie sur les bords du Toplitzsee. S’il s’était trouvé sur les voitures S.S. des restes du chargement, le fait n’aurait pas échappé à la curiosité des gens du G.I.C. Il faut donc que le chargement ait été soit détruit, soit caché.
— Personne ne s’occupa du camion demeuré en panne près de Redl-Zipf. Le capitaine de la Wehrmacht qui l’avait, « par ordre », reçu en dépôt du lieutenant S.S. se contenta de le passer aux Américains. Il ne s’était pas donné la peine d’établir la nature du chargement et son collègue américain qui se trouvait maître de l’affaire et habitant temporaire de Redl-Zipf, avait sans doute d’autres soucis que celui de s’occuper de la cargaison de l’un des innombrables camions allemands demeurés en panne dans la région. Mais un nouvel incident allait attirer l’attention sur le véhicule dédaigné.
— Les caisses jetées par mon « ordre » dans la Traun ne tinrent pas. Elles durent s’ouvrir après avoir passé une dizaine de jours au fond de la rivière, que ce fût sous l’action du courant, violent, ou encore que le contenu prenant l’eau eût, en gonflant, fait éclater les caisses. Et des centaines de milliers de billets de banque anglais vinrent en surface et gagnèrent le lac de Traun dans lequel la rivière du même nom se jette
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