Le neuvième cercle
essais échouent. Krüger, à en croire Burger, rassure ses spécialistes :
— « Ne craignez pas d’être « liquidés » si tout ne se passe pas comme nous l’espérions. Si nous parvenons à reproduire les coupures de 50 et 100 dollars, il restera à reproduire celles de 500. Vous aurez toujours suffisamment de travail. Entre-temps, nos spécialistes ont parfaitement résolu le problème du papier. Vous résoudrez aussi j’en suis convaincu, celui de l’impression. Nous servirons les Américains aussi bien que les Anglais. »
Le débarquement de Normandie impressionne considérablement les détenus des blocks 18-19. Pour la première fois, ils croient qu’ils pourront tout de même retrouver la liberté. Cent nouveaux essais aboutissent au même échec. Smolianoff, porte-parole du groupe, déclare à Werner :
— « Reproduire les dollars par la photogravure est impossible. »
— Il doit parler en connaissance de cause. À moins que… Werner devient méfiant. S’agirait-il d’un sabotage ? Aussitôt il menace…
— « Werner, dit Burger, regarda Smolianoff d’un air significatif et lui déclara de son ton sec habituel : « Si vous ne réussissez pas, vous m’obligerez à vous faire couper la tête. »
— La menace ne pouvait être prise à la légère. Werner la tiendrait, nous n’en avions pas le moindre doute. Smolianoff se remit à l’ouvrage. Jour après jour, il expérimente des méthodes nouvelles, prenant sur son sommeil, travaillant parfois jusqu’au petit matin. »
— Après le deux cent vingtième essai, les détenus reçoivent un ultimatum encore plus sérieux que la menace de Werner. Il vient de Heinrich Himmler lui-même :
« Si, dans quatre semaines, je n’ai pas sur mon bureau des dollars utilisables, vous serez pendus tous les quatre. »
— Une course contre la mort s’engage. Chacun travaille comme un possédé pour sauver non seulement sa vie mais aussi celle de ses camarades. « Nous ne fîmes plus de différence entre le jour et la nuit, rapporte Burger. Chacun de nous ne cessa plus d’imaginer, de chercher, d’essayer pour présenter à Smolianoff de nouvelles propositions. » La nervosité se fait intolérable. Smolianoff, infatigable, étudie les plus minuscules détails des dessins pour les reproduire.
— « Nous nous battions pour notre vie. Smolianoff faisait photographier sans cesse les dollars. Enfin, un jour, il se déclara satisfait. Il retoucha le négatif que Jacobson copia sur une plaque de verre recouverte de gélatine. On en tira une planche… Mais… ce n’était pas encore ça ! »
— Il faut imaginer l’angoisse de ces hommes qui sentent sur leur nuque le souffle de la mort, qui sont à bout de forces, dont les yeux sont gonflés, rougis par la forte lumière sous laquelle ils opèrent.
— Enfin un jour le miracle se produit.
— « Après le deux cent cinquante-cinquième essai, une planche fut enfin réalisée. La machine fut mise en marche, les tambours tournèrent. Nous les regardâmes dans un silence profond, plein d’attente ; on aurait entendu une épingle tomber. Nous examinâmes la première épreuve d’un œil critique, n’osant plus espérer, puis nous poussâmes un soupir de soulagement. Nous venions de réussir quatre jours avant l’expiration du délai. Nous étions sauvés.. »
Werner prévient Krüger. En cette première nuit sont imprimées cent coupures de 50 dollars et cent coupures de 100.
— Krüger paraît au matin, Smolianoff savoure la situation. Sur une table recouverte d’un tapis vert, il dépose quinze vrais billets qui ont servi de modèles et quinze faux qui ont été « vieillis » entre-temps.
— « Krüger et Werner examinèrent longuement les billets, un par un, des deux côtés, les firent glisser entre les doigts et, finalement, désignèrent les faux comme étant les vrais. Nous avions gagné notre course contre la mort.
— « Le soir même, Krüger téléphona à Himmler pour lui annoncer que tout était prêt pour la fabrication des faux dollars. »
— Quelques jours plus tard, Werner fait connaître aux quatre détenus les instructions données par Himmler et Schellenberg :
— « Produire un million de dollars en travaillant vingt heures par jour en deux équipes. »
— Mais avant de pouvoir commencer, les prisonniers de Sachsenhausen entendent le tonnerre des canons soviétiques. Le 23 février 1945, Berlin ordonne
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