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Le neuvième cercle

Le neuvième cercle

Titel: Le neuvième cercle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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outils. Là, à l’abri, il est tranquille. Un autre se mettra à bricoler l’outillage : pelles, pioches, à emmancher, brouettes à rafistoler, burins émoussés à battre, il devient ainsi « responsable de l’entreprise » et il y gagne en confort et en calme. Un autre encore comptera l’entrée et la sortie des sacs de ciment. Toutes les occasions étaient bonnes, il fallait savoir les saisir.
    — Pendant notre séjour à Melk (soit un an), l’on vit déambuler à travers le camp un camarade, portant sur l’épaule une très courte échelle, très légère, et une boîte, genre boîte à outils. Son travail consistait dans l’entretien des chasses d’eau des w.-c. Il y en avait trois ou quatre comprenant chacun une bonne vingtaine de sièges et de chasses d’eau. Ces chasses n’ont jamais fonctionné. Ce camarade, haut fonctionnaire, passait son temps entre ces immenses lieux d’aisance utilisés par des milliers d’hommes, allant de l’un à l’autre avec lenteur, son matériel sur le dos. Entre-temps, il restait des heures invisible, camouflé dans quelque coin. Nous l’avions évidemment baptisé, excusez-moi, « le Garde-Chiasse » !
    — Mais, à mon avis, le champion dans le genre fut un camarade auvergnat, originaire de Châtel-Guyon, où il vit toujours, propriétaire d’un petit hôtel et chauffeur de taxi. Il s’appelle Gironde ; nous le connaissions sous le surnom de « La Goupille ». Son histoire est unique.
    — En 1943, il exerçait à Châtel-Guyon le métier de correspondant des chemins de fer, avec une carriole et un cheval ; sa femme celui de blanchisseuse. Ayant obtenu à grand-peine un bon pour l’achat d’une lessiveuse, il accompagne son épouse à Clermont où l’achat réalisé, la lessiveuse à leurs pieds, ils attendaient, place de Jaude, le moyen de transport devant les reconduire chez eux. Une rafle des Allemands embarque tout le monde, lessiveuse incluse. Lui se retrouvera à Mauthausen-Melk-Ebensee ; M me Gironde, incarcérée à la prison de Clermont, sera employée jusqu’à la fuite des Allemands au nettoyage des bureaux de la Kommandantur. Quelques années après la Libération, je revois à Châtel-Guyon l’ami Gironde ; je lui demande des nouvelles de son retour et, textuellement, répondant à ma question, il me dit : « Oui, les boches m’ont rendu ma femme, mais ces salauds ils ont gardé la lessiveuse ! » Bref, au camp, avec son bon sens d’Auvergnat, doublé d’astuces et de roublardise, il se débrouilla merveilleusement. Employé à l’usine, il se procure une plaque de fer lui servant d’enclume, une paire de pinces, un marteau, enfin une caissette lui servant de boîte à outils. Il récupérait en tous lieux, tous les fils de fer qu’il pouvait trouver. Ainsi, dès leur installation, les chasses d’eau des w.-c. étaient munies de chaînettes qui ont immédiatement disparu afin de servir de ceintures à nos pantalons. Remplacées aussitôt par des fils de fer, par les soins du « Garde-Chiasse », ceux-ci étaient rapidement subtilisés par « La Goupille ». Soigneusement, avec un chiffon, de la brique pilée ou du sable, il les astiquait, les rendant aussi brillants que de l’argenterie bien entretenue, puis les ayant impeccablement redressés, il les coupait en morceaux identiques d’une vingtaine de centimètres, qu’il liait en petits paquets. Lorsque la matière première lui faisait défaut, il recoupait les morceaux en deux, puis encore en deux, etc. Sa caissette contenant suffisamment de petits paquets, il était tranquille et béatement dans un coin retiré, ou bien caché, il opérait à l’abri du mauvais temps. Il attendait, patiemment, la fin du cauchemar. Il était occupé ; pouvait au besoin montrer le résultat de son travail. Cela suffisait, on le laissait tranquille.
    — Mais un jour qu’il était béat dans son coin, une inspection des chantiers de la future usine se déroulait avec toutes les huiles du camp et des personnalités venues de l’extérieur. Un de ces messieurs, choisit justement pour y satisfaire un petit besoin, le refuge de notre ami. Étonnement du personnage qui alerte les autres. Ils entourent le pauvre Gironde qui n’en menait pas large, examinent sous toutes leurs faces les petits paquets contenus dans la caissette, s’extasient sur la qualité du travail puis enfin, l’un d’eux, demande à quoi cela pouvait bien servir. Dans un garde-à-vous impeccable,

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