Le neuvième cercle
de Polonais, d’Espagnols, de quelques Yougoslaves et encadré de kapos allemands. Au bout de deux ou trois semaines, arriva un convoi de Grecs, suivi rapidement de Juifs hongrois. Puis, à cadence fréquente, des convois de toutes nationalités ramassées à travers l’Europe par les nazis. Dès les premiers jours, j’ai fait connaissance d’un lieutenant yougoslave, officier de la garde du roi Pierre II. Cet officier parlait très bien français et, comme moi, n’avait qu’une idée : s’évader. Nous en étudions toutes les possibilités, ne voulant rien laisser au hasard. Réussir à quitter le camp ou un kommando travaillant dehors ne paraissait pas impossible. C’est ensuite que les difficultés les plus grandes commençaient. Le Yougoslave, connaissant la région, proposait de rejoindre un maquis en Slovénie. Nous n’en étions, à vol d’oiseau, qu’à environ 200 kilomètres, plein sud, en direction de Gratz et Maribor. Mais il nous fallait franchir toute une série de chaînes montagneuses, d’une altitude moyenne de 1 500 à 2 000 mètres. Après avoir bien réfléchi et étudié dans ses détails notre projet, notre conclusion fut qu’il nous était impossible de tenter l’aventure avant au plus tôt fin mai, courant juin, suivant les conditions météorologiques du moment. Dans ces montagnes, avec la neige, nos traces seraient visibles et suspectes, sans compter la difficulté de la marche. Puis, où trouver du ravitaillement en cette saison où rien ne poussait dans la nature ; et il fallait éviter de se faire voir dans les zones habitées, mais vivre cachés dans les forêts. Autre inconvénient sérieux : aussi longtemps que les beaux jours ne seraient pas venus, la campagne serait vide et nous serions beaucoup plus facilement repérés. Enfin, pour le parcours sur le territoire du Reich (150 kilomètres au moins), l’absence presque totale d’hommes, tous mobilisés, nous rendrait encore plus suspects. Tandis qu’aux mois de mai-juin et le retour des beaux jours, une certaine transhumance se produisant, amenant pas mal de circulation, notre présence, si nous étions vus, malgré nos précautions, serait moins anormale ; enfin, à cette saison, l’on trouverait facilement à nous alimenter.
La décision prise, chacun de son côté l’on commence à se procurer le matériel indispensable, en particulier des vêtements, que je cache dans une canalisation souterraine hors de service. Mais un matin, les Yougoslaves avaient disparu du camp, sans laisser de traces. Je n’ai jamais su ce qu’ils étaient devenus. On me dit que, dans la nuit, les Allemands sont venus les chercher. Les ont-ils éliminés ? Plus tard, j’ai compris que les maquis connus d’eux étaient ceux de Mihajlovic qui venait, par crainte des Russes, de prendre parti contre Tito. Peut-être les Allemands les ont-ils simplement libérés pour leur permettre de rejoindre ce nouvel allié ?
— Les Grecs, dès leur arrivée, ont été comme tous les « entrants » soumis à un rude dressage. Nous avons admiré cette race, fière, ne cédant jamais et subissant tout sans fléchir. Parmi eux, il y avait un avocat d’Athènes, homme de très haute taille, parlant un français parfait ; il était simplement vêtu de la robe de chambre violette qu’il portait lors de son arrestation. Nous étions autour de notre bac à ciment, regardant avec pitié le régime auquel ces malheureux étaient soumis, lorsque l’avocat sort de la ronde, se précipite sur nous et nous dit : « Vous êtes Français ? Alors vous allez nous défendre. » Pauvre homme. Que pouvions-nous ? Rapidement, le convoi de mille cinq cents Grecs qu’ils étaient à l’arrivée, fut réduit à quelques unités et à la Libération, il ne devait plus en rester un seul.
— Les Juifs hongrois, qui les remplacèrent une semaine ou deux plus tard, venaient du ghetto de Budapest. Pauvres gens de condition très modeste, qui disparurent également rapidement, car ils étaient les victimes de choix sur lesquelles s’exerçaient les sévices. Parmi eux, il y avait un jeune garçon, coiffeur de profession, qui me dit un jour dans un français de fantaisie :
— Moi je connais bien et j’aime la France.
— Où as-tu appris le français ? Et que connais-tu de la France ?
— J’ai appris à l’école et aussi tout seul. En France, je connais Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Les Misérables, la Tour Eiffel, Mistinguet et
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