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Le neuvième cercle

Le neuvième cercle

Titel: Le neuvième cercle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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criminel, mais plutôt de ceux d’un sportif aventurier et sympathique. Alors que nous sommes misérablement vêtus et chaussés de sabots rafistolés, lui s’habille avec une élégance des plus recherchées. Il porte tantôt des bottes tantôt des chaussures de marche confortables, ou des sandalettes de repos. Sa canadienne est barrée de traits rouges soigneusement peints de haut en bas, et en largeur, des fenêtres en tissu rayé sont aussi découpées dans le dos de ses confortables pardessus, pour faciliter les recherches en cas d’évasion. Houli porte des complets ajustés et cintrés, taillés dans les meilleurs tissus rayés dont dispose son ami kapo tailleur qui ne lui refuse rien, car Houli satisfait une de ses passions majeures en lui apportant du schnapps.
    — Ce précieux schnapps ouvre toutes les portes des puissants responsables de l’intérieur : que ce soit aux blocks, aux bureaux, à l’infirmerie, aux magasins, au tailleur et aux cuisines. Mais il n’est pas facile de se le procurer et Houli, à ce titre, est un précieux intermédiaire. Les dents en or, arrachées aux cadavres de l’infirmerie sur les ordres des S.S., ne sont pas toutes récupérées par ces messieurs. Avec la complicité du kapo de l’infirmerie, certaines sont utilisées justement par notre Oberkapo qui les échange contre de l’alcool à des travailleurs civils de la mine. Et c’est pour cela qu’Houli bien vu par le commandant S.S. d’une part, possesseur de monnaie, d’autre part, jouit à l’intérieur du camp d’un standard de vie bien supérieur à n’importe quel kapo. Houli est un criminel, un droit commun jugé et condamné. Il porte le triangle vert à côté de son matricule…
    — Mais voilà que les lumières du poste de garde viennent de s’allumer. Nous allons sortir. Le long serpent de détenus en guenilles s’allonge sur la route. Ils quittent leur béret au cri de « Mützen Hop » lancé par le kapo chef de centaine. Toutes les têtes, barrées d’une large raie rasée de quatre doigts partant du milieu du front jusque derrière la tête, se couvrent, au nouveau signal du kapo, de coiffures les plus diverses allant du bonnet russe pointu au béret avec protège-oreilles rapportés par d’ingénieux couturiers.
    — Houli contrôle la sortie. C’est la vingt-troisième fois que nous sommes comptés ce matin ; je me suis amusé à le vérifier : ce fut d’abord par le Schreiber, puis par un aide bureaucrate du block, ensuite par le chef du block, enfin par le kapo qui nous prit en charge. Chacun recommença plusieurs fois avec force coups de gueule… et de poing…
    — Nous marchons maintenant sur la route. Carette, mon ami belge, est à mes côtés. Il me fait part de ses rêves et de ses inquiétudes immédiates : le rabiot de soupe est de plus en plus difficile à trouver quand on rentre le soir, me dit-il. Et il poursuit : « Ce soir c’est la soupe sucrée, tu ne pourrais pas penser un peu à moi ? » J’aurai peut-être une soupe d’un litre d’un camarade espagnol qui m’aide assez régulièrement par simple solidarité d’opinion ; nous partageons, il me passera un peu de pain qu’un infirmier « commerçant » échange contre des cigarettes. Justement, il lui en reste encore une des cinq qu’il a touchées contre le « bon pour un mark » que le chef de chantier lui a donné, non sans mal, il y a quelques jours. Tout en parlant, nous nous appliquons à garder nos distances pour ne pas prendre un coup de crosse de fusil d’un Posten, à moins que ce ne soit un coup de tube de caoutchouc d’un kapo.
    — Carette poursuit sa conversation. Il m’apprend qu’un camarade de bureau lui a dit, hier soir, que cinquante-quatre morts avaient été inscrits dans la journée. À cette cadence, l’effectif du camp diminue vite et de huit mille nous passons à sept mille en moins d’un mois. Mais nous ne nous attardons pas en réflexions pessimistes. Nous nous évadons par la pensée bien loin dans le temps et l’espace, en Belgique, en France, avant guerre…
    — Nous marchons au pas, de nos sabots traînants, plus ou moins démontés, blessant nos pieds abîmés. Attention de ne pas heurter ceux du camarade qui précède ; qu’il soit Russe, Polonais, Grec ou Français, il n’emploiera pas les mêmes mots mais dira presque toujours la même chose, dans des termes qui ne sont pas pour de prudes oreilles.
    — Houli est à la tête de la colonne. Il

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