Le neuvième cercle
partisans nous ont promis de nous faire rapatrier par avion ; à chaque fois que nous arrivions à proximité de l’aérodrome, celui-ci était soit inondé soit occupé par les Allemands ou la « Garde blanche ».
— Une autre fois nous étions en pleine montagne, nous avons reçu la visite de plusieurs Anglais parachutés. Ils nous ont habillés, fourni du savon, du dentifrice, des brosses à dents, etc. Je crois que dans l’équipe des Anglais il y avait un fils de Winston Churchill. Il nous a promis que nous ne marcherions plus à pied, qu’il ferait l’impossible pour trouver des camions pour gagner la côte adriatique. Il a tenu parole. Nous sommes arrivés à Zara le 31 décembre, où nous avons été reçus sur un navire anglais par le commandant de bord. Il nous a fait prendre une douche et passer à l’épouillage et ensuite un bon repas. Nous avons reçu un accueil formidable.
— Pendant toute la traversée de la Yougoslavie, nous avons été attaqués, harcelés par les Allemands et la garde blanche. Nous ne marchions que la nuit, dans la boue jusqu’au genou, et nu-pieds car les chaussures que nous avions eues avec les Anglais étaient complètement usées. Quand nous restions plusieurs jours avec les partisans, ils nous faisaient faire l’école du soldat, dans la neige et la boue. Ce n’était pas beau. Nous n’avions rien à manger car, au fur et à mesure que nous avancions vers la côte, le groupe grossissait. Prisonniers de guerre évadés, S.T.O. et même des types de la L.W.F. Nous en avons démasqué deux ou trois en arrivant en Italie.
— Les partisans n’ayant pas trop de nourriture pour eux, nous étions contraints de manger des pommes de terre, crues, des betteraves et du maïs, à condition de ne pas se faire prendre. Moi qui étais toujours couvert de furoncles, j’avais du mal à me déplacer, je souffrais énormément. Mon petit camarade René Bolaz courait de tous côtés pour essayer d’avoir un morceau de pain, auprès des civils. À chaque fois qu’il en trouvait un, il m’en donnait la moitié.
— Nous avons donc embarqué sur le navire anglais le 31 décembre 1944, et avons débarqué le 1 er janvier 1945 à Bari. Nous sommes restés parqués dans les baraques quinze jours environ, le temps que nous passions à l’interrogatoire de la Sécurité militaire. Ensuite nous sommes partis pour Naples où nous sommes restés un mois en attendant notre rapatriement.
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Septembre, octobre, novembre : l’hiver, le grand hiver de montagne est là avec ses chutes abondantes de neige.
— Plus personne ne pourra s’évader !
— Plus personne ne pourra s’évader.
— Avec ce temps !
— Tu as raison… avec ce temps !
Jours insupportablement identiques : lutter contre le sommeil, contre la faim, la soif, l’épuisement, la peur. Jour après jour. Semaine après semaine. Parfois un « événement » frappe les imaginations, réveille les automatismes, accroche la mémoire pour toute une vie…
— Le liii meurtre le plus odieux fut celui du pauvre Rudolf Lau. Lau était un Allemand de Kustrin, employé à la poste du grand Reich. Il avait commis un larcin en volant un colis d’un triangle vert portant les initiales S.V. Il était bossu et souffreteux. Il avait vingt-deux ans. On l’employait à balayer le réfectoire des S.S. Comme il ne disposait pas de latrines pour lui, celles qui s’y trouvaient étant réservées aux S.S. et, du fait qu’il restait plusieurs heures à son poste en dehors de notre camp, un jour, il soulagea ses entrailles dans un seau utilisé pour les déchets de nourriture ramassés sur les tables des S.S. après leur repas au réfectoire.
— Il fut découvert. On était à la fin de l’hiver ; il resta toute la nuit au garde-à-vous face à la porte d’entrée du camp. Le lendemain, il partit avec le kommando chargé de désenneiger la route qui descendait vers Neumarktl. À la fin de la journée de travail, il fut conduit au détour d’un virage et tué à coups de fusil. Ses camarades chargèrent son pauvre corps sur une brouette et le ramenèrent au camp pour y être incinéré.
— Tsotsoria était liv un Russe de Georgie. Il avait la peau mate, les yeux noirs et de longs cils. Il avait été choqué lors d’un éclatement d’un obus d’artillerie et depuis ses gestes étaient ceux d’un automate. Les S.S. s’amusaient de sa démarche. Lorsqu’il arriva au kommando du Loibl-Pass, on le
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