Le neuvième cercle
n’aurait pas mangé depuis un mois.
— Je caresse le Mauser, fais manœuvrer la culasse, je connais bien cette arme que j’ai utilisée pendant mon séjour dans le maquis savoyard.
— Je suis de nouveau un homme libre.
*
* *
— Maintenue ?
— Maintenue.
L’équipe Jouannic encouragée par l’exploit solitaire de Jean-Baptiste Chevalier, ne modifie en rien ses projets.
— C’était lii un peu la dernière chance. Après il y aurait trop de neige. Vint la nuit du 13 au 14 octobre 1944. Le wagonnet dans lequel nous nous sommes évadés n’était pas construit comme celui de l’équipe Pimpaud, Huret, Pagès. Il était arrondi dans le fond, plus petit et en ferraille, alors que l’autre était en bois. Nous avions d’abord mis plusieurs planches ou madriers sur le wagonnet. Bolaz conduisait la motrice. Nous sommes montés : Célarié, Pélissier, Arnaud, le Yougoslave et moi. Je suis monté le dernier et j’ai tiré les planches pour nous dissimuler. Mais entre le haut du wagon et les planches il restait un espace de deux à trois centimètres par où on pouvait voir ce qui se passait à l’extérieur. Bolaz démarre. Quelques mètres après la sortie du tunnel, le train stoppe pour le contrôle. Je vois très bien le sergent S.S. qu’on appelait « Haricot vert » faire le tour du wagonnet, toucher les planches. Mais il ne les souleva pas : sans cela nous étions faits. Normalement le convoi, une fois sorti du tunnel, une fois le contrôle S.S. effectué, devait avancer de 30 mètres, passer un aiguillage manœuvré par un déporté polonais et revenir en arrière pour emprunter une autre voie menant à la bétonnière où les wagons étaient chargés… alors que l’autre côté de l’aiguillage, l’autre voie, conduisait directement à la décharge (l’endroit de l’évasion du groupe « Grand Jo ») au pied de la montagne.
— Bolaz ralentit en passant l’aiguillage. Le Polonais actionne les leviers. Bolaz au lieu de revenir en arrière pour charger le béton donne de la vitesse à la machine. Le Polonais qui n’est pas dans le coup doit faire une drôle de tête. Bolaz fonce en avant. À ce moment-là les S.S. se sont rendu compte qu’il s’agissait d’une évasion. Ils ont commencé à tirer de tous les côtés. Pour comble de malheur, une dizaine de mètres plus loin… catastrophe… sur des voies de garage plusieurs rames de wagonnets vides en attente, et ces voies sont en pente. Un wagonnet, sans doute mal accroché, se détache. Il roule lentement, prend de la vitesse, saute un aiguillage et percute de plein fouet la motrice de Bolaz qui déraille. Je fais glisser les planches, nous sautons à terre. Impossible de foncer sur la gauche : la montagne est trop raide. Impossible de courir vers la droite : il y a des bâtiments et la route qui descend vers le camp. Une seule solution : aller tout droit, devant nous, sur la voie. Et réaction immédiate, courir en zigzag pour essayer d’éviter les balles. Je croyais bien ma dernière heure arrivée, mais dans des moments comme ça, on n’a pas le temps de réfléchir : on fonce.
— Nous avons parcouru ainsi 6 ou 700 mètres. Les balles sifflaient. Nous avons gagné la montagne. Nos gardiens du tunnel ont immédiatement lancé des fusées pour donner l’alerte. Aussitôt, nous avons entendu les camions démarrer et les chiens aboyer. Ces camions, remplis de S.S. et de chiens, sont montés au sommet du col frontière austro-yougoslave pour balayer les pentes avec leurs phares. Nous les voyions à quelques mètres de nous mais, ayant trop peur des partisans, ils n’osaient pas pénétrer dans les sous-bois.
— Lorsque nous avons atteint la montagne, j’ai eu une défaillance. Il est vrai que j’avais fourni un effort au-dessus de mes forces. J’ai donc dit à mes camarades de partir et de me laisser là. Pour moi, il était préférable d’en sacrifier un que d’être repris tous les six. C’est alors que j’ai évalué le sens de la vraie camaraderie car, immédiatement, Bolaz, Pélissier et le Yougoslave m’ont soulevé et dit qu’ils ne me laisseraient pas derrière eux. Pendant quelques mètres, ils m’ont soutenu, puis les forces me sont revenues lorsque j’ai entendu les chiens aboyer.
— Deuxième incident : nous nous trompons d’itinéraire et, alors que nous avions quitté le Loibl-Pass à 2 heures du matin, nous nous retrouvons à 7 heures en Autriche. Nous avons marché
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