Le neuvième cercle
pierres nous tombaient sur les pieds, nous les mettant à vif et il fallait pousser sous la menace constante de la schlague. À midi, pendant la pause, la soupe nous fut distribuée, nous souffrions tous, ayant les pieds en sang et la perspective de la reprise du travail nous effrayait.
— Pourtant il fallut recommencer, et après une heure de piochage pour tasser les pierres, nous passâmes à un autre exercice. On nous amena par groupes de huit devant un tas de rails situés à 500 mètres, et on nous les fit charger sur l’épaule, pieds nus, haletants, couverts de sueur. Il nous fallut faire douze fois le voyage ; aussi lorsque le rassemblement pour le retour au camp sonna, nous n’étions plus que des loques ; le visage ravagé et gris de poussière et les épaules en sang. Ce fut le retour, la ruée dans les wagons sous les coups pour finalement nous retrouver dans le block. Nous n’étions pas avertis de la vie du camp et le fait de ne pas être allés au lavabo, au retour du travail, nous valut quelques paires de gifles. Enfin, nous touchâmes notre pain et notre saucisson et, l’ayant dévoré, nous nous laissâmes aller au sommeil…
— Il en fut ainsi pendant quatre jours au bout desquels je pus réussir à me glisser, à force de coups de poings, dans un kommando de huit heures. On m’affecta à l’usine souterraine en construction, et mon travail devait consister à creuser des galeries au marteau pneumatique, cet outil pesait 7 kilos et, pendant huit heures il fallait le tenir dans toutes les positions, quelquefois verticalement. Aussi, inutile de décrire l’épuisement doublé de la fatigue nerveuse provoquée par les vibrations de l’appareil. Néanmoins, je préférais cela au transport des rails, d’autant plus que nous ne travaillions que huit heures. Je restai donc à ce poste jusqu’au 9 juin, date à laquelle on me cassa la main dans les conditions que voici :
— Aussitôt le réveil, je m’étais dirigé vers les lavabos, comme je le faisais habituellement. Au moment de me rhabiller, mon béret avait disparu, adopté par un Russe. Je rentrai donc au block et j’eus le malheur de demander une autre coiffure. Le chef de block vint donc avec un nouveau béret, mais me fit agenouiller à terre, la tête reposant sur un tabouret, puis il ordonna à un kapo de me frapper de douze coups d’un bâton qui avait la dimension d’un manche de pioche et, celui qui devait le manier, était un véritable athlète. Au premier coup, la douleur me fit hurler, mais au troisième, n’en pouvant plus, je mis instinctivement ma main gauche sur mes reins, ce fut elle qui prit le choc. Je perçus un craquement et je m’évanouis, je sus, par d’autres camarades, que les douze coups me furent assénés. Je revins à moi quelques minutes après, j’avais la tête en sang par les coups de pieds reçus pour me forcer à me lever. Ma main gauche gonflait à vue d’œil et devenait verdâtre, j’esquissais un geste, on me donna un béret et, après un dernier coup de pied, on m’envoya rejoindre la colonne qui partait au travail. Évidemment, dans cet état, il n’était pas question de reprendre le marteau, aussi je fis constater ma fracture au kapo qui, après avoir demandé avis au S.S. nous gardant, décida que je resterais assis toute la journée. Je souffrais terriblement et ce n’est qu’au retour que je pus me rendre à l’infirmerie. Je fus reconnu aussitôt et on me porta sur la liste des malades à présenter au médecin S.S. Le lendemain matin donc, j’allais à cette visite. C’était un spectacle d’horreur car, si pour mon compte ma main avait triste apparence, de pauvres malheureux n’étaient qu’une plaie du milieu du dos aux mollets. La trace des coups était visible et certaines plaies suppuraient, ce qui ajoutait encore à cette horreur.
— J’espérais être hospitalisé, mais après une radiographie, on me mit l’avant-bras dans le plâtre et l’on m’octroya dix jours de repos au block. Après une seconde visite, cet arrêt fut porté à vingt jours, que j’avais hâte de voir terminés, car la vie au block était rendue impossible par un kapo polonais qui, à longueur de journée, cherchait l’occasion de nous frapper. J’arrivais donc au terme de mon repos quand un médecin polonais, parlant couramment le français, me proposa de me faire revenir à Gusen I et, comme ex-aviateur, me faire travailler à l’usine Messerschmidt. Il me fit
Weitere Kostenlose Bücher