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Le neuvième cercle

Le neuvième cercle

Titel: Le neuvième cercle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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kapos frappent, au hasard, dans le tas.
    — Les hommes souffrent, beaucoup sont couverts de plaies, les cachant pour éviter l’acheminement qui passe par le Revier, pour se terminer, trop souvent, par la chambre à gaz. Je suis de ceux-là. J’ai les jambes trouées d’ulcères dont je fais, moi-même le pansement avec du papier de sac de ciment retenu par des bouts de fil de fer. Quand nous sommes acheminés de jour, c’est une autre douloureuse épreuve, toute morale celle-là. Si nous sommes encore entassés, nous restons debout, les S.S. qui occupent chaque voiture nous tiennent à distance, par répugnance, à cause de l’odeur que répandent les « chiasseux » et de peur que nous leur transmettions quelques-uns de ces poux dont nous sommes couverts.
    — Nous avons le droit de regarder le paysage : une campagne insolente en ressemblance avec ce qui pourrait être la nôtre. Nous laissons aller nos regards dans cette nature éternelle, avec sa terre et ses herbes, ses chemins et sa route avec des charrettes lentes et des vieux courbés sur les guides de leurs chevaux. Des fermes avec leurs jardins et du linge bien propre qui sèche au vent, et des enfants blonds qui gambadent.
    — Il y a une rivière à l’eau claire qui paresse dans la prairie avec quelques pêcheurs égarés qui ne se détournent plus pour voir passer les forçats.
    — La vie, la liberté sont là tout près de nous, à portée de nos yeux qui ne savent plus pleurer, à portée de notre cœur qui fait si mal que nous oublions, pour un temps, les appels de nos estomacs, torturés par la faim, les déchirures de nos membres brisés par l’épuisement.
    — Nous voudrions, au passage, caresser de la main les hautes herbes folles que le frôlement du train courbe faiblement le long du ballast.
    — Et puis c’est le village de Saint-Georgen flanqué près de notre montagne monstrueuse, avec son église et son clocher qui pointe sa flèche vers le ciel, à deux pas de notre enfer.
    — Jour après jour, à chaque voyage, nous voyons se métamorphoser la nature.
    — À quelques mètres de la voie, il y a un énorme cerisier que nous avons vu enneigé de fleurs. Nous avons vu se dessiner les fruits, nous les avons vus rosir pour devenir écarlates, provocants et gorgés de tout ce qui semble nous manquer.
    — Peut-être était-ce une poignée de ces cerises-là qu’une jeune fille lança d’une fenêtre au milieu de notre kommando, rangé en file devant l’entrée du tunnel ? Sous une grêle de coups de matraque, distribuée par les kapos, ce fut une belle curée.
    — Le hasard bienheureux voulut qu’avec un camarade français, nous nous emparions d’un des fruits que nous avons équitablement partagé.
    — … J’échouais lxv dans l’avant-dernier wagon, au milieu d’anciens qui, nous reconnaissant à nos tenues neuves, crurent bon de nous conseiller. J’appris donc qu’à l’arrivée à Saint-Georgen, il fallait sauter des wagons et essayer de se glisser dans un « kommando » du tunnel, car ceux-ci ne travaillaient que huit heures. Fort de ce conseil, je sautais donc sitôt arrivé, mais avec les Polonais, les places dans lesdits « kommandos » se payaient à coups de poings. Aussi, avec quelques camarades, nous fûmes proprement « vidés » et récupérés par un kapo s’occupant d’un kommando de douze heures. Nous le suivîmes donc et traversâmes en sa compagnie, et sous la surveillance des S.S., le petit village de Saint-Georgen. À cette époque, le Tyrol était une splendeur et je ne pouvais que regretter qu’un cadre pareil puisse servir de bagne. Un petit serrement de cœur m’étreignait à la vue de délicieux vergers complètement retournés pour laisser passer les voies de chemin de fer.
    — Nous arrivâmes donc à une baraque où il nous fut remis des outils ; j’héritais une pioche, puis on nous amena à une voie ferrée en construction, on nous dispersa le long de la voie qui n’était pas encore remblayée, puis on nous appela pour pousser une énorme benne contenant des cailloux de remblai. Arc-boutés, nous eûmes de grosses difficultés à mettre en route ce wagon, mais le kapo crut nous aider, en se précipitant sur nous et nous frappant le dos avec une trique. Le wagon enfin démarra, ce fut à ce moment que les vannes latérales furent ouvertes et que l’avalanche de cailloux se déclencha ; nous ne voyions plus clair tant la poussière était dense, les

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