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Le Pacte des assassins

Le Pacte des assassins

Titel: Le Pacte des assassins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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je me souvenais de chaque
mot et je les lui avais lentement répétés – “Le sang des hommes irrigue l’Histoire.
C’est lui qui fait se lever les moissons. Nous ne devons pas craindre de le
faire couler. À la cruauté, nous devons répondre par la cruauté !”
    Heinz a d’abord paru ne pas m’entendre évoquer
cette nuit du 3 janvier 1917 dont chaque détail s’était gravé dans ma mémoire. Mais
quand je me suis assise près de lui, essayant de lui envelopper les épaules de
mon bras, il m’a repoussée, me regardant avec effroi comme s’il me craignait, comme
si j’étais en effet l’ogresse qui allait le dévorer, comme si les souvenirs que
je lui avais rappelés, et les propos qu’il m’avait tenus, lui étaient devenus
insupportables.
    Il s’est levé et, les bras tendus en avant, il
m’a empêchée de m’approcher de lui.
    Mais, au moment de quitter notre chambre, il a
murmuré, la tête baissée :
    — Nous avons été des tueurs, Julia, tout
comme ton ancêtre criminelle. Elle se vautrait dans le sang pour affiner sa
peau. Nous avons saigné les peuples pour les purifier. Et maintenant il faut
que notre sang coule. C’est notre tour !
    Je n’ai pas cherché à le retenir. Il disait
vrai, tant sur le sang dont nous nous étions gorgés, nous aussi, que sur ce qui
allait advenir de nous.
    Je me suis allongée, immobile comme une morte,
puis j’ai écrit ces quelques lignes. »
    Je les ai lues comme
s’il s’était agi de la confession, des aveux, voire du testament de Julia.
    Et je suis parti presque aussitôt pour Venise.
Je voulais voir ce tableau, établir les circonstances de la rencontre entre Heinz
Knepper et Julia Garelli en cet hiver 1916-1917, puis connaître les détails de
leur fuite, de leur arrivée à Zurich, de leurs liens avec Lénine et les
quelques émigrés bolcheviques qui l’entouraient.
    En ce mois de décembre que j’avais choisi à
dessein afin d’imaginer ce qu’avait été l’hiver de Heinz et Julia, Venise m’est
apparue comme un cimetière envahi par les eaux boueuses et recouvert d’un voile
épais de brouillard. J’ai traversé la place Saint-Marc en marchant sur des
passerelles qui me semblaient s’appuyer sur des tombes enfouies.
    Puis j’ai longé les façades de la Riva degli
Schiavoni et je suis entré dans le palazzo Garelli, si humide qu’à chaque pas
que je faisais dans le vestibule, puis en gravissant les marches de l’escalier
conduisant à la chambre de Julia, j’avais l’impression de m’enfoncer dans l’un
de ces monuments funéraires qui m’ont toujours attiré.
    Et, j’ai pensé que Julia devait en effet, comme
l’avaient dit Marco Garelli et Heinz Knepper, ressembler trait pour trait à la
comtesse Elisabeth Garelli, l’ogresse.
    Jusqu’alors, j’avais été incapable d’imaginer
la jeune femme qu’avait été Julia. Maintenant je la voyais à dix-sept ans, courant
vers l’hôpital aménagé dans le palazzo Grassi, sur le Grand Canal. On y avait
entassé les blessés arrivés du front qui courait, meurtrier, sur l’Altiplano du
Haut-Adige aux cimes caillouteuses des Dolomites, de Caporetto à Gorizia, la
ville maudite, comme chantaient les soldats « O Gorizia tu sei maledetta… »
    Parmi ces hommes gémissants, Julia s’était arrêtée
au pied du lit d’un jeune officier ennemi, ce Heinz Knepper au visage émacié, aux
tempes rasées, aux mâchoires serrées parce qu’il ne voulait pas gémir, crier
quand on le pansait, qu’on retirait les éclats d’obus de mortier et de rocher
qui s’étaient enfoncés de sa joue droite à sa hanche, labourant l’épaule et le
torse.
    Il parlait un italien sans accent et Julia, un
allemand presque parfait. Il avait une dizaine d’années de plus qu’elle et il
était le premier homme dont elle frôlait la peau, le premier qui se confiât à
elle, non pas pour lui raconter son enfance à Vienne, puis à Berlin, ses actes
de bravoure ou ses désirs d’adolescent, égaler Goethe et Schiller, puis Marx, et
la séduire ainsi, mais pour lui expliquer l’histoire du monde.
    Les patries, disait-il, n’étaient que des
leurres, les guerres, des pièges conçus par les maîtres afin que les esclaves s’entretuent.
La seule vraie lutte se déroulait, depuis les origines, entre les exploiteurs
et les exploités. Prométhée avait volé le feu aux dieux et s’était dressé
contre eux, puis la torche de la révolte avait été brandie par Spartacus, et, depuis lors,

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