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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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griffes. Ou ils me lacèrent ou ils m’égorgent ! »
    Un instant, il imagina Maguelonne assise sur le banc de la forge de Villerouge, entre l’huis et le tas d’emperons (437) duquel parfois son oncle extrayait une grume destinée à devenir un manche d’outil, de charrue, voire un limon. Il ne voulait pas la perdre. Il ne voulait pas qu’elle souffrit. Qui, mieux que lui, eût pu l’exhorter à la patience, à la confiance ? Il se sentait soudain sans force et sans imagination.
    – Ne croyez-vous pas, messire Guesclin, dit tout à coup Pons de Missègre, qu’au lieu d’aller guerroyer en Espagne, il serait meilleur, pour le royaume, que vous en extirpiez tous les routiers qui le dépècent et le consument ?
    « Vient-il à mon secours ? » se demanda Tristan.
    Il en doutait. Voyant que l’escarmouche dans laquelle il eût pu périr avait perdu toute son âpreté, le grand clerc barbu se posait en politique. Sa voix qui jusque-là ne s’était point débarrassée de l’onctuosité que provoquait l’inquiétude ou la frayeur – venait de prendre un timbre mat, presque tranchant, signe d’une supériorité ou d’un mépris dont Guesclin se souciait aussi peu que de son premier homicide :
    – Mandement du roi, sire clerc ! Je lui obéis. L’Espagne d’abord, la France ensuite. Je guerroie où l’on m’envoie. Certains des malandrins qui vous effraient me compagnent (438) . Que voulez-vous de meilleur ?
    « Le roi de France est fou ! » songea Tristan atterré par la satisfaction et la hautaineté du Breton.
    Il devinait chez le rustique derrière lequel, parfois, des compères s’arrêtaient pour repartir vélocement, l’irrésistible montée de l’impatience. Le fait d’avoir à confabuler si peu que ce fut avec des gens d’Église l’indisposait. Depuis son premier passage en Avignon deux ans plus tôt et la rançon qu’il avait exigée du Pape, il se savait détesté de tous les serviteurs du Saint-Père, des plus grands aux plus petits.
    – C’est une rude tâche qui vous est confiée !
    Le bayle enfin parlait. Nul doute que, rencontrant le Breton et son armée n’importe où, il leur eût ouvert ses coffres avant qu’ils le lui eussent demandé. Il les eût même gratifiés de sa bénédiction. Guesclin l’effleura d’un regard qui s’immobilisa sur Pierre de la Jugie :
    – Seigneur archevêque, dit-il, je ne fais qu’obéir. On m’enjoint : «  Va  », je vais. Le roi me dit : «  Aidez mon frère Anjou  » et j’aide le duc de mon mieux. Pour lui, j’ai guerroyé en Provence 308 et bientôt ce sera l’Espagne. D’ailleurs, j’aime ce pays. Il est immense et magnifique…
    L’émoi ne passait ni dans la voix, ni sur cette face ronde figée par une sorte de fureur : la jactance en neutralisait la sincérité – pour peu qu’il fut sincère. C’étaient, en vérité, des paroles froides et qui eussent pu être teintées de rouge. Pierre de la Jugie lui-même n’était pas dupe : il était trop expert en sentiments de toute espèce pour trouver un émoi quelconque dans cette effusion soudaine que d’ailleurs rien ne justifiait.
    – Mais, se permit Pons de Missègre dont le cheval frongniait à force d’être immobile, outre que la plupart des routiers demeurent dans le royaume et le dévastent à plaisir, on dit que le prince de Galles s’apprête à sortir d’Aquitaine pour exiller (439) , une fois de plus, la Langue d’Oc !
    Un rire tinta, lugubre :
    – Sa vigueur, messire, s’amenuise. Bientôt, il sera impuissant à répandre le mal.
    « Tu resteras donc seul à jouir de tes crimes ! »
    Tristan broncha. Guesclin usait d’une affirmation mensongère : même malade, l’héritier d’Angleterre demeurait dangereux. Il ne retournerait pas en Espagne puisqu’il manquait de moyens en hommes et en argent, mais il était encore capable d’ensanglanter toute une contrée après l’avoir vidée de ses trésors des plus humbles aux plus précieux.
    –  On dit qu’un fouage (440) , intervint le bayle, a mis en grand courroux jusqu’aux plus précieux alliés du prince.
    –  Certes, messire, certes !… Mais je ne suis point ici pour discuter d’un fouage. La Castille m’attend !
    La face de Guesclin commençait à se convulser. Irrésistible attrait que l’Espagne et les batailles qu’il allait y livrer ! Le regard lourd s’assombrissait, la bouche au dessin lâche quoique précis apparaissait sèche et amère. Un

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