Le pas d'armes de Bordeaux
air de suffisance aggravait la rigueur des traits déjà pénibles à observer.
– Décide-toi, Castelreng. Tous ces gens d’Église ont compris que je suis le plus fort et que, par conséquent, ils ne peuvent assurer la défense.
– Seul un mariage, grommela Pierre de la Jugie, pourrait vous tirer de là, mon ami. Avouez que ça en vaut la peine.
– Non, monseigneur, broncha Tristan. Mon sort est entre les mains de ce dispensateur de mal, non entre les vôtres.
– La revanche de Nâjera, Castelreng !… Nous allons abattre Pèdre et après, je t’en fais serment, je te laisserai en paix.
Il fallait accepter cette subordination. Tristan connaissait trop le Breton pour savoir, dès maintenant, qu’il serait encore écœuré par ses procédés, ses sévices, ses haines, ses rancunes et sa détestation des Juifs. Par-dessus les têtes de fer qui les séparaient, il consulta Paindorge. L’écuyer inclina tristement la tête.
– Soit, dit-il, Bertrand. Nous t’allons suivre. Il nous faut une armure à chacun. C’est tout : nous avons nos chevaux et nos épées.
Il tapota contre sa hanche la prise de Teresa.
– Tu auras tout ce que tu veux et une bonne solde en sus.
Tristan mit pied à terre, traversa la double haie d’hommes et de chevaux qui le séparait de Lemosquet et Lebaudy qu’il entraîna loin du rassemblement dont l’odeur, déjà, l’indisposait.
– Vous avez vu, compères… Résister, c’est mourir. Mourir pour ces linfars que sont Guesclin, Pèdre, don Henri.
– C’est ce que nous pensons, messire, dit Lemosquet.
– En vérité, dit Lebaudy d’une voix désespérée.
L’affliction, le sentiment d’inutilité qu’il découvrait sur leurs visages et surtout dans leurs regards tirèrent à Tristan un gémissement où l’émoi et la colère se confondaient.
– Oyez, dit-il à voix basse, l’archevêque me voulait marier à une noble donzelle. J’ai refusé… Je doute qu’il se venge sur Ma guelonne dont il sait que je suis amouré… Ce soir, allez donc la voir chez son oncle, Pierre Massol, et dites-leur d’être méfiants.
– Nous veillerons sur eux, dit Lebaudy.
– Dites à Maguelonne que dès mon retour d’Espagne, j’en ferai mon épouse.
Tristan recula d’un pas. Ses yeux le picotaient. Tout s’écroulait encore autour de sa personne.
– Alors ! hurla Guesclin. Bon sang, ces adieux prolongés à tes hommes me donnent à penser que vous forniquez ensemble.
Tristan se retourna, le visage figé, cependant que son sang bruissait dans ses oreilles.
– C’est ce que me donne à penser ta royale accointance, Bertrand. Tel père tel fils, dit-on. Il peut avoir la main molle et le vit assez dur pour te foutre !
Il s’attendait à un rire si brusque, si véhément, qu’il eût provoqué une épidémie d’ébaudissements dont seuls se fussent courroucés Pierre de la Jugie et les gens de sa suite. Il n’en fut rien. Le silence glacé dont il fut entouré ne révélait que de la haine.
ANNEXE II
LA FIN DE SEVESTRE BUDES, EN 1379, SELON LA CHRONIQUE DES QUATRE PREMIERS VALOIS
En cel an, ung Breton, nommé monseigneur Sevestre, fut décapité à Mascon. Et le fit decapiter Oudard d’Atainville, pour lors bailly d’icellui lieu. Cestui Sevestre avoit aidé à conduire le pape Clement en Avignon de Rommenye. Et pour celle cause demandoit au cardinal d’Amiens pour lui et pour cil de sa route trente mille frans. Le dit cardinal, qui estoit venu devers le roy de France à Paris auquel il fit tant de plaintes de cestui Sevestre, disoit qu’il avoit voulu prendre et detenir et qu’il avoit pillié en royaume de France et bouté feu et fait bouter. Par quoy il fut mandé au bailly de Mascon qu’il le feist decapiter. Et pour lors estoit venu le dit monseigneur Sevestre à Mascon pour pourchasser sur le dit cardinal la somme d’or dessus dicte. Comme le dit Oudart d’Atainville sceut que le dit monseigneur Sevestre estoit à Mascon, il assembla des gens d’armes et prist le dit monseigneur Sevestre, et le fit decappiter en la ville et ung syen compagnon (449) . Car dehors la ville ne le eust il osé faire, pour les routes des gens d’armes dont il estoit chief. Et quant les dictes routes de gens d’amies sceurent que le dit monseigneur Sevestre fut occiz, furent moult yrés et tous forcenés. Et pour celle cause firent des maulx tant entour Mascon que ce fui pitié, car ceulx le comparcreni qui n’y avoient
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