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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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grâce, sa beauté avaient conservé en dépit des années, des aventures et des inconvénients de la vie, une juvénilité flamboyante. Une peau dont la teinte et le velouté lui rappelaient ces fruits qu’il avait découverts à Séville : les albaricoques 30  ; un sourire de nacre et des yeux d’un émail singulier – on l’eût dit emprunté aux gorges des pigeons. Et des mains qui semblaient d’une douceur extrême.
    – Sais-tu, Hugues, à quoi je pense ?… Eh bien, je te le dis tout net : je préfère que ce soit cette crapule de Guichard qui ait à s’occuper du fils du prince que ces deux beautés-là !
    – Certes… Mais leur influence existe et je dirais même qu’elle outrepasse celle des conseilleurs.
    Et plus bas :
    – C’est un fait avéré : l’épouse admirable a ruiné la santé d’Édouard tant au lit que dans des festins dignes de Nabuchodonosor. L’autre a participé à la ruine du trésor… Elles règnent… et crois-moi : ces créatures-là sont dangereuses pour ceux qui les convoitent. Tu ferais bien de te défier de la Française dès que je vous aurai présentés… Elle enchante, elle excite, elle trouble les hommes, mais c’est pour mieux les humilier. On dit que Jeanne et elle, après avoir partagé la même litière, ne seraient point gênées – si ce n’est fait de s’introduire dans la même couche. Mais ce sont là des malveillances infâmes.
    Calveley n’avait que faire, eût-on dit, de la considération, voire de l’amitié de ces femmes. Cependant, lorsque leurs regards s’emparèrent du sien, il ajouta plaisamment :
    – Crois-tu, Tristan, aux sirènes ? Ces deux-là sont les filles ou les filleules de ces femmes légendaires. Et ce qui les distingue des gentilfames, bourgeoises, manantes de maintenant, c’est ce que Chandos appelle leur philautie, autrement dit l’amour exa géré que chacune se porte à elle-même… John n’a qu’un œil mais il sait voir. Il prétend que chacune d’elles, en se contemplant cent fois par jour dans un miroir, ne cesse de s’adorer en redoutant l’apparition de la moindre ride ou du plus petit cheveu blanc… Viens, il te faut connaître enfin la cousine de ton beau-père.
    *
    La princesse Jeanne eut un grondement de tigresse blessée. Soudain dressée, elle frappa de son poing la poitrine de Tristan qui sentit moins le coup que les regards fixés sur sa personne.
    – Vous !… Mon époux m’a dit que ce chevalier se trouvait à Bordeaux en otagerie chez-vous, Hugh. Mais je ne pensais pas que vous auriez l’audace, l’un et l’autre, de venir céans !
    – Princesse, intervint Calveley, Tristan de Castelreng m’a conté par le menu sa tentative d’enlèvement du prince Édouard au château de Cobham. Il ne vous a pas… touchée.
    – Fi donc, Hugh ! Il n’eût plus manqué que cela.
    Tristan revoyait dans une sorte de brume l’événement qui s’était installé à jamais dans la mémoire de la belle Jeanne. Elle, effrayée sous les draps dont elle avait couvert sa nudité en hâte, et le prince encore roide d’une étreinte qu’il avait abrégée, lui, Tristan, l’indiscret en poussant la porte de leur chambre. Il ne regrettait rien. Il s’était conduit en chevalier. Jeanne de Kent l’avait-elle oublié ? Quel nouvel émoi, cette nuit-là, après celui des sens, même écourté ! Son époux n’était point alors l’espèce d’ours maussade qu’il était devenu.
    Tancrède était demeurée assise, figée dans une attitude aimable quoique toujours distante. Elle se leva.
    – Jeanne, dit-elle, un doigt posé sur la saignée du bras dextre de la princesse. Jeanne, m’amie, ce n’est point un lieu de tençon où nous sommes. Regardez tous ces hommes ! Votre fureur les excite plus encore que votre sourire.
    Les visiteurs formaient un cercle étroit où le velours et le mollequin, le cainsil et le cariset alternaient avec les mailles des haubergeons et les plates de deux armures, probablement celles de deux chevaucheurs en attente ou au retour d’une mission. Jeanne rougit et, les paupières vacillantes, se tourna vers son amie :
    – Oh ! Tu… vous…
    Un froncement de sourcils lui révéla qu’elle enfreignait les usages de Cour, sinon l’aimable bienséance en vigueur sous les voûtes dorées. Les quelques mots qu’elle avait bégayés avaient, semblait-il, porté un coup léger, quoique douloureux, à une affection aussi étroite que précieuse. Comment, dans

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