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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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l’abandon d’une ire justifiée, avait-elle pu se montrer si étourdie ? Elle s’en repentait. Ses joues portées au rouge reprirent peu à peu leur carnation initiale, mais le désaveu muet de son amie continuait de l’affliger : elle se languissait dans l’attente d’un mot, d’un signe annonciateur d’une connivence recouvrée, or, rien n’apparaissait qui l’eût consolée.
    – Reculez, messires, dit-elle avec un large mouvement du bras qui, dans les profondeurs d’une manche large, ridée as las (352) et gonflée à l’épaule, révélait une aisselle pâle, épilée. Reculez !
    Les hommes obéirent. Calveley créa une diversion en entraînant les deux femmes et Tristan dans une encoignure.
    – Dame Tancrède, ce chevalier qui vient de provoquer la fureur de la princesse est le gendre d’Ogier d’Argouges.
    – Le gendre d’Ogier !
    Ébahie, suffoquée au point de toucher son cœur, la preudefame se ressaisit. Quelques perles avaient embué son visage. Ses doigts volèrent, prompts et légers, et son front, ses joues recouvrèrent leur pureté.
    – Où est-il, mon cousin ?… Otage comme vous ?
    Tristan ne put que remuer la tête. Avant que Jeanne de Kent ne l’eût agressé, Tancrède l’avait certainement considéré comme un chevalier d’Aquitaine ou un capitaine gascon de passage à Bordeaux. Elle savait désormais qu’il avait été le malheureux héros de la prouesse avortée de Cobham et qu’il n’était présentement rien de plus qu’un vaincu de Nâjera parmi des centaines d’autres.
    –  Ogier d’Argouges est mort, dame, à Briviesca, en Espagne. Je ne saurais vous dire comment maintenant. Peut-être le pourrai-je plus tard.
    – Le pauvre… Il était beau, bon, droit… et généreux.
    Une douleur inattendue, venimeuse, emplissait une âme et un cœur disposés à la joie. Tancrède offrait désormais à la princesse Jeanne un visage toujours ardent, mais tourmenté. Cette expression d’une violence extrême, en pesant sur ses traits, les privait de leur singulière harmonie et leur enlevait ce qui subsistait de leur extraordinaire jouvence. Et ses mains réunies pour une brève prière ou un recueillement achevaient de changer son apparence : elle était en deuil. Un deuil si douloureux et si sincère que la belle Jeanne, incapable d’exprimer sa compassion, l’invita d’un geste à s’asseoir sur un banc tout proche, auprès de l’épouse de Guichard d’Angle, ce que Tancrède ; rompue, semblait-il, des chevilles aux épaules, dut trouver tout aussi malencontreux que la défaillance verbale de son amie.
    –  Ah ! Messire… Dites-moi votre nom.
    – Tristan de Castelreng.
    – Messire Tristan, quelle affreuse nouvelle !… La dernière fois que j’ai vu Ogier, c’était en novembre, il y a…
    Elle compta sur ses doigts et ses lèvres pincées bougeaient à peine.
    – … il y a… Seigneur, je crois rêver !… Il y aura tantôt vingt ans… C’était aux joutes d’Ashby-de-la-Zouche… Il s’y montra d’une vaillance comme oncques n’en vit…
    Du crochet de l’index, Tancrède remonta une larme jusqu’aux cils qui l’avaient perdue.
    – Te souviens-tu… Vous souvenez-vous, Jeanne ?
    C’était son tour de rectifier l’erreur d’une interrogation trop familière. Dans un accès prompt et rageur de repentir, elle s’était tournée vers l’épouse du prince de Galles afin qu’elle vît sa face éplorée et compatît à une douleur qui ne pouvait l’atteindre. Et pourtant, ce fut la belle Jeanne qui s’exprima :
    – Votre beau-père, messire, était un preux. Je l’ai vu affronter à Ashby un des meilleurs chevaliers d’Angleterre : Renaud de Cobham dont le châtelet vous est connu… Renaud est mort depuis cinq ans (353) . J’ai admiré messire Argouges.
    – Moi également, dit Calveley, soudain touché, lui aussi, par le souvenir d’une appertise dont on avait dû parler longtemps sur la Grande Ile.
    – C’était un preux, reprit Tancrède avec, dans la voix, une tendresse qui n’avait rien d’affecté. Ah ! Pourquoi faut-il que cette douleur m’étreigne ce matin… J’aimais Ogier de tout mon cœur…
    Tristan crut comprendre que cet amour refréné lors de la jeunesse prime, puis tenu pour inadmissible parce que incestueux, s’était épuré d’un coup par la mort du chevalier normand. Tancrède en prenait l’exacte mesure. Cependant, son caractère vif, altier, tout autant que la présence

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