Le pas d'armes de Bordeaux
minime ascendant.
Elle marcha vers le lit. Il la suivit tout en ouvrant son pourpoint dans l’intention de se dévêtir. Il y eut un appel dans la cour : « Halloo ! » qu’elle feignit de ne pas entendre. Elle entra dans les draps et s’en couvrit jusqu’au menton. Elle remua, les yeux mi-clos, avec une indolence simulée tandis qu’il s’empressait d’enlever ses heuses, ses chausses et ses braies. Bientôt, al longé près d’elle, il put enfin toucher à satiété ce corps capricieux et le sentir béer sous ses mains volubiles.
– Sais-tu que tu obtiens un privilège rare ?
Elle jouait sur les mots comme il jouait sur sa chair.
– Je suis touchée de cet amour dont tu m’honores.
Des mots ! Des mots toujours.
– Vous n’avez point cessé de hanter mes pensées, même quand je ne vous connaissais pas. Ogier parlait de vous avec une espèce de religion…
Il revenait au voussoiement tant il sentait que, soumise en apparence, elle le dominait toujours. Il ne lui reprocherait pas de parler, bien qu’il fût, en cette occasion, pour un silence fervent. Les regards, les baisers, les attouchements eussent dû lui suffire.
Il voulut rejeter les draps dans la ruelle. Elle s’y opposa.
– Eh bien, vous ! dit-il, trouvant étrange que cette femme hardie fit soudain preuve d’une janoterie de pucelle. L’âge, peut-être, l’y contraignait. Usant de sa force, il entrevit un corps divin dont les épaules nacrées, les seins, les hanches avaient conservé, comme par miracle, une fraîcheur telle qu’il s’extasia :
– Où allez-vous vous abreuver ? Quelle fontaine de jouvence ?
– L’amour me vivifie. Lorsque tu partiras, je serai rajeunie.
Il la baisa sur le cou, le menton, l’épaule ; plus bas encore, sur un sein qui s’offrit plus volontiers que le reste cependant que des ongles mordillaient son dos. Il la humait, la buvait ; elle gémissait comme une vierge à sa première pâmoison, et chaque soupir fortifiait sa volonté de la laisser attendre, espérer plus et davantage. Jamais il n’avait vu d’aussi beaux appas. Il la sentait lutter contre le plaisir, peut-être pour retarder la frénésie qui ne cessait de le gagner, bien qu’il s’efforçât d’en différer l’échéance. Quand, saoulée de baisers à ses lèvres d’honneur, elle consentit à s’ouvrir aux palpitations extrêmes, elle dit encore :
– Non… Attends… J’aime ton langage… Je t’amignarderai pour tout ce que tu fais…
C’était envers un bienfaiteur des propos d’usurière. Il allait se regimber, l’envahir sans scrupules et prendre sa part de plaisance quand on frappa du poing à la porte d’entrée.
– Ouvre-nous !
Dressée sur son séant, une tête immobile contre une de ses cuisses, Tancrède demanda d’une voix dont elle exagérait peut-être la langueur.
– Qui est-ce ?
– Ethelinde et Odile.
Elle n’en ignorait rien. Il y eut un silence. Tristan se releva et regarda cette Vénus qui lui échappait avec une espèce de jubilation. Elle semblait la même et pourtant quelque chose, en elle, s’était abîmé ou détruit. Ses yeux mi-clos brillaient sans la moindre fureur ; sa bouche n’exprimait aucune déception. Elle murmura sans repentir :
– J’aurais dû me taire. Elles savent maintenant que je suis dans mon gîte. Ogier les connaissait… Elles étaient à Ashby lorsqu’il y fît merveille. Nous ne nous sommes guère quittées depuis.
Dégrisé, Tristan se demanda s’il devait se lever et se rhabiller.
« Si près », enragea-il. « Elle aurait dû se taire. Peut-être espérait-elle la venue de ces femelles ! »
Dans la confusion de ses émois, cette évidence l’effarait : Tancrède aurait pu, aurait dû garder le silence.
– Ouvre ! enjoignit une voix différente de la première : moins rauque, pressante.
– Celle-là, c’est Odile… Non, ne te lève pas… Tiens ta langue si elle n’est point lasse.
– Es-tu seule ?
– Non, je ne suis pas seule. On se verra demain.
– Qui est-ce ?
Une voix plaintive, oppressée, voire indignée.
– Celle-là, c’est Ethelinde.
– Quelle est ta visiteuse ?
Encore une injonction des deux à la fois.
Prêt à se lever, Tristan sentit une main preste l’effleurer, l’empoigner. Tancrède eut un rire à l’adresse des deux suppliantes :
– Cette personne peut se jacter 82 d’être pourvue de tout ce qui vous manque… et dont j’ai présentement
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