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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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solitude. Ils emplissaient le silence de leurs souffles et de leurs murmures.
    Parfois, lors des bonaces où ses mains erraient sur ce corps conquis sans bataille, Tristan se persuadait d’avoir subi une sorte de second baptême. Celui d’un feu dont il avait jusque-là soupçonné l’existence et l’infinité, et qui, contrairement à ce qu’il eût pu penser, l’avait nettoyé de toutes les souillures de la guerre. Il avait compris la vanité du monde en voyant combien il disparaissait lors d’un embrasement d’amour – ou de ses ferveurs secrètes soudainement tirées du néant.
    Tancrède dormait à plat ventre, la tête enfouie dans ses cheveux. Quand elle se retourna, il fut près d’approcher ses lèvres de cette chair abandonnée, de ce visage dont la bouche semblait s’abreuver aux sources des ténèbres. Quels étaient ces tisons qui les brûlaient encore ? Était-elle repue ? Il était rassasié.
    Il se leva et se vêtit en hâte, devinant qu’elle l’épiait entre ses cils mi-clos.
    – J’aimerais pouvoir te garder afin de recommencer…
    Tristan ne répondit point. Ils avaient accompli le cycle de leurs goûts. Ils connaissaient leurs préférences, leurs préjugés, leurs forces et leurs faiblesses. En faisant le tour de leurs corps, ils avaient accompli celui de leurs esprits. Il avait perdu toute contrainte en présence de cette cousine qu’Ogier avait dû ardemment désirer sans rien obtenir d’elle. Incapable de découvrir, au-delà de l’exaltation qui embellit, l’aisance qui réconforte, il se sentait lui, son gendre, jugé et amnistié s’il s’était parfois montré inférieur à ce que Tancrède avait espéré de lui.
    – Regarde à l’entour avant d’engager ton cheval dans la rue. Sois prudent… On ignore que tu étais près de moi… Va comme un Bordelais de longue date et trouve ton chemin sans avoir à le demander. Nul ne verra en toi un prisonnier goûtant petitement à la liberté.
    Puis avec un soupir de lassitude ou de complicité passagèrement amoindrie :
    – Tu m’as concédé moult attentions que je ne pourrai oublier.
    « J’ai fait de mon mieux », songea-t-il platement.
    Tancrède remua sous les draps où toute sa chair vouée à la paresse se trouvait désormais occultée :
    – Nous nous aimerons encore quand nous aurons fui cette cité où tout m’est désagréable.
    Il acquiesça. Il n’avait plus rien à lui dire. Soudain, il se sentait seul, très seul.
    – Dieu te garde, murmura-t-il tandis qu’entre deux lames des contrevents un rai de soleil rouge l’invitait à s’éclipser.
    – Dieu te garde, dit-elle. Et sa voix était un reflet de l’autre.
    À quoi bon un « au revoir », se dit-il, puisqu’il l’emportait avec lui.

IV
     
     
     
    Tristan et Paindorge ne furent point conviés à la célébration de la grand-messe qui, à la cathédrale Saint-André, au seuil du dimanche 19 septembre, consacra la gloire du prince Édouard, victorieux à Nâjera par la grâce de Dieu et saint Georges.
    À la relevée (364) , Hugh Calveley vint inviter les deux compagnons à le suivre : après un repas des plus simples – on festinerait le soir -, l’héritier du trône d’Angleterre, les jouteurs, les dames et quelques hommes d’armes allaient traverser Bordeaux pour gagner le champ clos.
    – Quand, demanda Tristan, mettrons-nous nos armures ?
    – Sitôt que vous serez entrés en lice. Quelqu’un m’a fourni pour vous des vêtements neufs. Mettez-les pour lui complaire.
    C’étaient des pourpoints de soie et des chausses de cainsil aux couleurs des Castelreng : mi-partie de gueules et d’argent. Tout en s’habillant, Tristan dit au géant qui lui tendait sa ceinture d’armes :
    – Si par meschéance je ne le puis, tu regracieras la dame à qui nous devons ces largesses. Nous devinons qui c’est. Ne nous dis pas son nom. Elle…
    –  Où sont nos armes ? interrompit Paindorge.
    Il ne s’était point courroucé que son maître et ami eût passé ailleurs une nuit. Ils avaient employé toutes les heures qui les séparaient de ce dimanche essentiel pour leur vie et leur dignité à s’exerciser ensemble.
    – Aylward et Shirton ont mis vos épées, plates et habits de dessous dans un charreton sur lequel ils veilleront sans répit jusqu’à ce que nous atteignions le champ de vérité où ils doivent être arrivés.
    C’était d’un piètre réconfort.
    *
    Une compagnie de guisarmiers à pied ouvrait la

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