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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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sont allées.
    Elle était debout, roide, attentive. Elle irradiait une sorte d’incandescence et de fraîcheur, de mystère et de crudité. Sa chair était d’un ton saumoné par l’ombre qui, à leur insu, s’était engagée dans la chambre.
    –  Eh bien, dit-elle. Tu n’oses me répondre ?
    Il ne répondit toujours pas. Son regard s’abaissa. Ensuite, s’écartant du lit, le menton haut, superbe, elle rit de bon cœur :
    – Tu ne dis rien ?… Tu n’as pourtant pas un poil sur la langue. C’est impossible, tu le sais. J’ai d’ailleurs du rusma 86 en pot… Si tu veux que j’ôte ce pelage qui désembellit ta poitrine, dis-le… Et sache-le : ma faim de toi n’est pas rassasiée. Es-tu familleux 87 toi aussi ?
    Elle passa une main sur son ventre comme s’il la brûlait, et telle était la pénétration de son regard que Tristan, immobile, en sentit l’atteinte sous le drap dont un pli révélait son désir.
    – Je crois, dit-il, que je pourrais vous amourer comme un fou.
    – L’amour m’a toujours fait l’effet d’une folie.
    Leurs regards se mêlèrent, se quittèrent, et Tancrède s’étira, se cambra, offrant non point confusément mais volontiers la tension de son torse à un examen auquel il refusa de se livrer.
    –  J’ai faim de toi, je veux digérer mon plaisir.
    Ses reins continuaient de se creuser, ses seins devenaient d’autant plus insolents qu’elle les présentait sous ses mains en coupe. Il n’osa baisser les yeux et, sans savoir pourquoi, une morosité – peut-être un remords -le prit d’être là, prêt à forniquer, alors qu’à Gratot…
    – Tu me compares à ton épouse ?
    – Non… À une figure de marbre que j’ai vue il y a longtemps.
    Elle embellissait le reclusoir dans lequel Perrette Darnichot souhaitait préparer ses amants à des jeux lascifs et mortels. C’était loin, mais son souvenir demeurait précis. L’imagier qui avait ciselé puis poli cette œuvre avait-il purifié la vérité de son modèle ? Lisse et noble, Tancrède lui ressemblait. Quel homme en la voyant ainsi n’eût pris pour un marbre palpitant cette chair sublime, ce corps charnu, ferme et gracieux. Quel autre, en contemplant ses enfoncements secrets et ses saillies nacrées d’un soupçon de rose n’eût été subjugué, ébahi, et tenté de s’en repaître. Mieux encore : de s’en délecter.
    – Je n’ai cessé de penser à toi. Et toi ?
    Il ne répondit pas mais se demanda s’il n’était point devenu, pour cette affamée, le substitut d’Ogier d’Argouges.
    – Ton regard s’égare, chevalier !… Ton esprit aussi, dis-moi ?… Je crois qu’elles sont parties.
    Il s’approcha et prit entre ses mains ce visage où la douceur et l’austérité semblaient malignement superposées. La face formait un ovale allongé, serré dans le bas. Le nez était droit et simple et l’arcade des sourcils longue, cintrée, régulière. L’arête en était vive et se continuait en s’affaiblissant par degrés vers les tempes.
    – Je ne sais en d’autres, mais j’ai vu les Anglaises épilées à cet endroit.
    – Un œil sans sourcil, c’est un joyau sans parure.
    Les yeux attentifs scintillaient. La lèvre supérieure se portait légèrement à dextre. Était-ce l’expression de la dubitation ? D’un sourire prêt à naître ? Serait-ce l’éclosion d’un baiser ? Le regard de Tristan s’abaissa vers les seins entre lesquels passait un coulis de lumière. Et au-delà.
    Brusquement, il s’agenouilla, la joue contre le ventre ferme, les bras étreignant les cuisses avec force, cependant qu’une main furtive et comme fragile effleurait ses cheveux et le décoiffait comme l’eût fait un souffle d’air. Bouche contre lèvres, ils frémirent ensemble. Et la voix tomba, suppliante :
    – Viens, le lit nous attend… Tu partiras dès l’aube.
    *
    Ils passèrent la nuit sans presque se parler tant leurs corps avaient à se dire. Parfois, ils allaient jusqu’à la fenêtre. Leurs regards s’élevaient vers le ciel pétillant d’étoiles que le vent des hauteurs semblait incessamment fourbir, de même que la lune nimbée d’une onde d’étoupe d’or. Ils appuyaient l’un contre l’autre leurs contours frileux puis revenaient sur les draps que leurs flux et reflux avaient en partie déjetés sur les dalles où gisaient les vêtements de Tristan. Plus ils s’assujettissaient l’un à l’autre, plus ils se sentaient séparés de tout par la

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