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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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doit écumer que nous perdions du temps.
    Aylward prit le bouclier que Tristan lui tendait. Lâchant les rênes, il mit ses gantelets et embrassa de nouveau le grand cœur de bois et de fer qui le protégerait des coups. Il ne pensait plus à rien – ou à peine. Il se voyait, simplement, immobile sur Malaquin et contemplant son premier adversaire étendu dans l’herbe. Peu importait qu’il fut ou non ensanglanté : le prince d’Aquitaine aurait senti le coup.
    – On nous a, dit Aylward, amené six lances et un râtelier d’armes.
    – Messire, dit l’écuyer, nous les avons examinées. Elles sont bonnes.
    – Eh bien, qu’elles soient mauvaises envers mes ennemis.
    De loin, Tristan regarda les glaives 116 . C’étaient les armes favorites des anciens, alors qualifiées aux Croisades de «  mirabiles de lanceis percussores  ». Et comme aux temps jadis, leurs fers étaient bordelais. Chaque hanste 117 de frêne avait à son extrémité un grand picot à douille dit « feuille de sauge ».
    – Allez m’en quérir une. Je ne bouge point d’ici.
    Shirton s’exécuta. Bientôt Tristan soupesa l’arme.
    Elle était d’un peu plus du double de sa taille. Son fer soigneusement fourbi et aiguisé pourrait crever un bouclier, puis un plastron et atteindre un cœur plein de sang dont ce seraient les battements ultimes, à moins que la hampe ne se brisât dans la collision. Lors des six heurts qui allaient se produire, il faudrait, de toute nécessité, que quelque partie s’effondrât : homme effondré, cheval renversé ou enfin, tout simplement, une rupture du frêne. Les jouteurs qui ne réussiraient ni à le chévir 118 , lui, Castelreng, ni à rompre leur propre bois – s’il n’était désarçonné ou percé lui-même -auraient nécessairement le bras dextre retourné, faussé, à moins que leur poignet ne fût brisé.
    – Je l’ai bien en main.
    L’évidement de la prise lui convenait. La hampe était équilibrée. C’était en fait la lance des romans de Chevalerie. Non point celle d’Ogier d’Argouges qui avait fait merveille à Chauvigny, mais celle qu’Ogier le Danois avait un jour empoignée dans l’île de Coivre 119 sous les regards sereins d’une belle pucelle : Gloriande.
    Des trompes sonnèrent. La foule remua comme sous l’effet d’un coup de vent. Aux bouhourds on vit se lever quelques hommes. Lentement, dans les plis de son houssement rouge, le roncin de Guichard se rendit à l’extrémité de la lice, à quelques pas de la barrière. Le chevalier leva sa lance et remua son écu armorié autant que le lui permettait sa cubitière. Aylward récita :
    –  D’argent à trois têtes de lion de sable arrachées et lampassèes de gueules et couronnées d’or, posées deux et un.
    « Mes gantelets ! » Pourquoi paraissaient-ils soudain trop étroits ?
    « Mon écu… »
    Il l’avait soigneusement suspendu à son cou. La guige en était neuve. Il semblait qu’elle le serrait un peu trop à l’épaule. Ce devait être une illusion.
    « C’est l’écu de Calveley. Je me dois de l’honorer autant que mes armes. »
    Sa main était suffisamment forte pour qu’il pût tenir solidement aussi, les rênes de Malaquin.
    Sa gorge était sèche et son cœur battait fort.
    – Penchez-vous de côté, dit Paindorge.
    Il obéit. L’écuyer abaissa la ventaille du bassinet.
    – Bon sang ! J’avais oublié.
    Une obscurité légère sous la coupole de fer. Peu à peu, les deux raies de la vue se joignirent pour n’en faire qu’une derrière laquelle il enferma son adversaire tandis que les trous du mézail lui offraient une échappée sur la barrière et l’herbe du champ.
    Il devait triompher. Ne pas saigner cet homme mais le bouter hors des arçons. Bellement afin non seulement de consterner les autres mais surtout de désemparer leurs certitudes.
    – Dieu vous aide ! dit Paindorge.
    Tristan vit sur sa joue une espèce de larme.
    – Crains rien, Robert, dit-il en empoignant la lance au-dessus de l’agrappe 120 .
    Il franchit au trot les deux estaquettes ouvertes dans les clôtures et accéda au champ de vérité. Au centre, à six pas de la barrière, le maréchal de lice et ses assesseurs n’attendaient plus que l’envol d’une sonnerie de trompettes.
    Guichard leva de bas en haut sa lance : il était prêt. Tristan lui répondit par un geste semblable. Les trompettes sonnèrent. Ils s’élancèrent.
    Guichard avait déjà couché le bois. Tristan

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