Le pas d'armes de Bordeaux
écu. Je vais l’aller chercher…
– Non, reste, Robert. Je l’ai vu. Tu me le remettras quand je serai en selle.
– Soit… Vous sentez-vous bien ?… Six hommes ! Et pas des moindres. Ce serait trop pour mon goût.
– C’est aussi trop pour moi… et ils sont des meilleurs. Cependant, je me dois d’être vivant et libre.
Tristan s’aperçut qu’une sueur abondante commençait à froidir son dos. Tout son être n’était qu’un frémissement. La fatalité de la vie le prenait à nouveau dans ses rets et son instinct l’avertissait que, passé ces six difficultés mortelles, une septième l’attendait, d’une tout autre importance, mais pareillement aventurée.
« Le pas d’armes ! »
Quoique pour le moment la nature de cette ultime probation lui fût inconnue, il pouvait en redouter les périls.
« Ce sera sûrement l’attaque d’un châtelet que nous défendrons, Paindorge et moi. Si les épées sont rebattues comme aux tournois, nous n’aurons lui et moi que des surgillations 109 et des bosses… à condition que les Goddons ne soient pas plus de trois ou quatre à nous livrer bataille. Or, serai-je en état d’assurer ma défense ? »
Bien qu’il sût son écuyer capable d’atterrer un ou deux adversaires, cette assurance – ô combien fragile -n’éveillait en son cœur aucun écho bienfaisant. Ils seraient en péril de mort si le prince souhaitait qu’il en fût ainsi. Il était nécessaire qu’il y eût des juges incorruptibles pour surveiller les conditions de cet assaut et les agissements des assaillants. Ces experts sauraient-ils se montrer équitables ?
Il cessa de délibérer car ses regards, quoique limités par l’embrasure du bassinet, venaient d’être attirés au-deçà de la tente devant laquelle Paindorge et Aylward confabulaient de part et d’autre de Malaquin. Là-bas, au milieu du champ, entre la barrière de joute et l’échafaud du prince Édouard, un héraut vêtu d’une livrée mi-partie de rouge et de safran, présentait les champions qui courraient chacun une lance pour l’honneur du prince et la gloire de l’Aquitaine.
– Messire Jean Chandos… Messire Guichard d’Angle…
À chaque nom cité, un cheval s’avançait, un bassinet s’inclinait autant que le lui permettaient les cordons et courroies qui l’assujettissaient au gorgerin ou au colletin de l’armure. Des hommes, des dames applaudissaient.
– Messire Jean de Grailly… Messire Nigel Loring…
Les nobles s’échauffaient. Les gentilfames pépiaient pour soudain piailler comme si des mains invisibles les eussent chatouillées.
– Messire Matthieu de Gournay…
Le roncin du jouteur se cabra. Obéissait-il à son cavalier ou bien avait-il été abroché sans raison ?
– … et messire Naudon de Bagerant.
Hormis les chevaliers parmi lesquels il avait guerroyé, nul ne le connaissait. Aussi fut-il peu ovationné, ce qui devait lui donner de la déplaisance – donc flageller sa fureur native.
– Messire, dit Shirton d’une voix feutrée, vous n’êtes pas invité, mais moi, à votre place, je me revancherais de cette iniquité. J’irais saluer le prince. Votre cheval est prêt et l’on dirait qu’il vous attend pour ce coup-là.
Trois foulées et Tristan fut entre les arçons.
Il s’était mis en selle avec tant d’aisance, malgré le fardeau de l’armure, qu’une rumeur s’éleva et se propagea parmi la foule, y compris, attentifs sur leurs bancs, les nobles et les bourgeois.
– Mon écu.
– Le voici, dit Paindorge. Embrassez-le 110 soigneusement et portez-le bien en chantel.
Ce fut fait.
Dans un silence dont il apprécia la solennité, Tristan fit trotter Malaquin le long de la barrière près de laquelle il galoperait bientôt. Nobles et dignes, ils contournèrent les hérauts, les juges diseurs et le maréchal de lice, tous frappés d’ébahissement par tant d’audace. Sitôt devant l’échafaud d’honneur, le cheval fit un ramener 111 après lequel, frappant de sa dextre nue sa cuirasse à l’emplacement du cœur, Tristan déclara sans élever la voix, mais en sachant qu’elle atteindrait la damerie tout aussi éplapourdie que le potentat d’Aquitaine penché en avant malgré la pression exercée sur son ventre :
– Tristan de Castelreng vous salue. Monseigneur.
Ils se défièrent une fois de plus : lui, l’otage, et l’autre, promis à régner un jour sur l’Angleterre – et sur Londres en particulier – comme
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