Le pays de la liberté

attendant, Jay utiliserait le billet pour régler ses dettes les plus pressantes. La forge était silencieuse depuis un mois: ils n'avaient plus de métal pour fabriquer des outils et des fers à cheval.
    Lizzie par bonheur n'avait pas remarqué qu'ils étaient sans le sou. Après la mort du bébé, elle avait vécu trois mois dans une brume. Puis, quand elle avait surpris son mari avec Felia, elle s'était cantonnée dans un silence furieux.
    Aujourd'hui, elle était encore différente. Elle paraissait plus heureuse et semblait presque aimable. ´quelles sont les nouvelles? lui demanda-t-elle au dîner.
    - Des troubles dans le Massachusetts, répondit-il. Il y a un groupe de têtes br˚lées appelées les Fils de la Liberté... Ils ont même eu le toupet d'envoyer de l'argent à ce maudit John Wilkes à Londres.
    - Je suis surprise qu'ils sachent même qui il est.
    - Ils s'imaginent qu'il défend la liberté. En attendant, les commissaires aux douanes n'osent pas mettre le pied à Boston. Ils se sont réfugiés à bord du H.M.S Romney.
    - On dirait que les colons sont prêts à se révolter. ª Jay secoua la tête.
    Íl leur faut juste une bonne
    dose du médicament que nous avons administré aux mineurs : quelques coups de fusil et quelques bonnes pendaisons. ª
    Lizzie frissonna et ne posa pas d'autre question.
    Ils terminèrent le repas en silence. Pendant que Jay allumait sa pipe, Lennox entra.
    Jay devina qu'il avait bu. Ést-ce que tout va bien, Lennox ?

    - Pas précisément ª, fit Lennox de son ton insolent habituel.
    ´ que s'est-il passé ? ª demanda Lizzie avec impatience.
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    Lennox répondit sans la regarder: Ón a bruit notre tabac, voilà ce qui s'est passé.
    - Br˚lé ! fit Jay.
    - Comment cela ? interrogea Lizzie.
    - C'est l'inspecteur qui l'a fait br˚ler. Comme de; ordures. Pas commercialisable...ª
    Jay sentit son estomac se serrer. Il avala sa salivét dit: ´Je ne savais pas qu'ils pouvaient faire ça.
    - qu'est-ce qu'il a de mal, ce tabac?ª demande Lizzie.
    Lennox semblait anormalement nerveux. Il resta un moment sans rien dire.
    Állons, parlez, dit Lizzie en colère.
    - Ils disent qu'il sent la vache, finit par dire Lennox
    - Je m'en doutais ! ª dit Lizzie.
    Jay ne savait absolument pas de quoi ils parlaient Ćomment ça, il sent la vache ? qu'est-ce que ça veul dire?
    - «a veut dire, répondit froidement Lizzie, qu'on a parqué du bétail sur la terre o˘ on a fait pousser les plants. quand il y a excès d'engrais, le tabac prend une saveur forte et déplaisante.
    - qui sont ces inspecteurs, demanda Jay, furieux, qui ont le droit de br˚ler ma récolte ?
    - Ils sont nommés par la Chambre des députés, lui expliqua Lizzie.
    - C'est scandaleux!
    - Ils ont le devoir de maintenir la qualité du tabac de Virginie.
    - Je vais les traîner en justice.
    - Jay, fit Lizzie, au lieu de les poursuivre en justice, pourquoi ne vous contentez-vous pas d'exploiter convenablement votre plantation ? Vous pouvez faire pousser de l'excellent tabac ici à condition seulement d'en prendre soin.
    - Je n'ai pas besoin d'une femme pour me dire comment gérer mes affaires !
    ª cria-t-il.
    Lizzie regarda Lennox. ´Vous n'avez pas non plus besoin d'un imbécile pour s'en chargerª, dit-elle.
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    Une horrible pensée frappa soudain Jay. ´ quelle partie de notre récolte était cultivée de cette façon ? ª
    Lennox restait muet.
    Éh bien ? insista Jay.
    - La totalitéª, fit Lizzie.
    Jay comprit alors qu'il était ruiné.
    La plantation était hypothéquée, il était endetté jusqu'au cou et la récolte de tabac tout entière ne valait pas un penny.
    Il avait du mal à respirer. Il ouvrit la bouche comme un poisson, mais sans parvenir à faire entrer de l'air.
    Il prit enfin une inspiration, comme un homme qui se noie remonte une dernière fois à la surface.
    ´Dieu me protègeª, dit-il. Et il s'enfouit le visage entre ses mains.
    Ce soir-là, il vint frapper à la porte de la chambre de Lizzie.

    Assise auprès du feu, en chemise de nuit, elle pensait à Mack. Elle baignait dans le bonheur. Elle l'aimait et il l'aimait. Mais qu'allaient-ils faire? Elle avait le regard perdu dans les flammes. Elle essayait d'être pratique, mais son esprit ne cessait de vagabonder : elle se rappelait comment ils avaient fait l'amour ici, sur le tapis, devant la psyché. Elle avait envie de recommencer.
    Le coup frappé à la porte la fit sursauter. Elle bondit de son fauteuil et contempla la porte fermée à