Le pays de la liberté
prêt à partir pour des pays exotiques, comme s'il savait à quoi ces endroits-là
ressemblaient.
Tout en suivant le chemin boueux creusé d'ornières, il se mit à songer sérieusement à son voyage. Il quittait le seul foyer qu'il e˚t jamais connu : l'endroit o˘ il était né, o˘ ses parents étaient morts. Il abandonnait Esther, son amie et son alliée, même s'il espérait bien la faire quitter Heugh avant trop longtemps. Il laissait Annie, la cousine qui lui avait appris à embrasser et à jouer de son corps comme d'un instrument de musique.
Mais il avait toujours su que ça arriverait. Aussi loin que remontaient ses souvenirs, il avait rêvé d'évasion. Il aspirait à la liberté. Et maintenant il l'avait.
Il se sentait grisé. Il était parti.
Il ne savait pas ce que demain lui réservait. Peut-être la pauvreté, la souffrance et le danger. Mais ce ne serait pas un jour de plus au fond du puits, encore un jour d'esclavage. Demain, il serait son propre maître.
Il arriva à un virage de la route et se retourna. Il distinguait encore tout juste Jamisson Castle, le contour de son toit crénelé éclairé par la lune. Je ne reverrai jamais cela, se dit-il. Cette idée le rendit si heureux qu'il se mit à danser un quadrille, là, au beau milieu du chemin boueux, en sifflotant la mélodie et en dansant en rond.
Puis il s'arrêta, en riant doucement. Et il continua sa descente dans la vallée.
II
Londres
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Shylock portait un large pantalon, une longue roi noire et un tricorne rouge. L'acteur était laid à faii peur, avec un gros nez, un long double menton une bouche aux lèvres minces plissées dans une gi mace torve. Il entra en scène d'un pas lent et mesur l'image même du mal. Avec un grognement voluj tueux, il dit: ´Trois mille ducats.ª Un frisson pa courut le public.
Mack était fasciné. Même au parterre, o˘ il éta debout avec Dermot Riley, l'assistance était immi bile et silencieuse. Shylock articulait chaque mi d'une voix rauque qui tenait du grognement et c l'aboiement. Ses yeux flamboyaient sous des sourci broussailleux. ´ Trois mille ducats pour trois mois, < Antonio obligé... ª
Dermot souffla à l'oreille de Mack. Ć'est Charh MacKlin, un Irlandais. Il a tué un homme et il a é jugé pour meurtre, mais il a plaidé la provocation i il s'en est tiré. ª
Ce fut à peine si Mack l'entendait. Il savait, bie s˚r, que ces choses-là
existaient, les salles de sp& tacle et les pièces de thé‚tre, mais il n'avait jama imaginé que ce serait comme ça: la chaleur, h lampes à huile qui fumaient, les costumes extraord
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naires, les visages peints et surtout l'émotion - la rage, .l'amour passionné, l'envie et la haine, présentés de façon si vivante qu'il en avait le cúur qui battait aussi vite que si tout cela était réel.
En quittant le thé‚tre, Mack dit à Dermot: Ć'est comme ça que sont les Juifs ? ª II n'avait à sa connaissance jamais rencontré de Juifs : la plupart des personnages de la Bible étaient juifs et ce n'était pas de cette façon qu'on les représentait.
´J'ai connu des Juifs, mais, Dieu merci, je n'en ai jamais vu un comme Shylock, répondit Dermot. C'est vrai que tout le monde déteste les prêteurs sur gages. Ils sont très bien quand on a besoin d'emprunter, mais c'est quand il faut rembourser que les choses se g‚tent. ª
On ne comptait pas beaucoup de Juifs à Londres, mais la ville était pleine d'étrangers. Il y avait des matelots asiatiques à la peau sombre qu'on appelait des lascars. Des huguenots de France. Des milliers d'Africains à
la peau noire et aux cheveux crépus. Et d'innombrables Irlandais comme Dermot. Pour Mack, cela faisait partie du côté excitant de la ville. En Ecosse, tous les gens se ressemblaient.
Il adorait Londres. Il éprouvait un frisson d'excitation chaque matin quand il s'éveillait en se rappelant o˘ il était. La ville était pleine de choses à voir et de surprises, de gens étranges et d'expériences nouvelles. Il aimait l'odeur attirante du café qui montait des dizaines d'établissements o˘ on en servait, même s'il n'avait pas les moyens d'en boire. Il contemplait les somptueuses couleurs des toilettes -jaune vif, violet, vert émeraude, rouge cramoisi, bleu ciel - que portaient hommes et femmes. Il entendait des troupeaux mugissants de bétail terrifié qui traversaient les rues étroites jusqu'aux abattoirs, et il évitait les hordes d'enfants à
demi nus qui mendiaient et volaient. Il
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