Le petit homme de l'Opéra
providentiel se produit grâce à un coulissier, M. de Castro, qui, un jour d'automne 1897, attend un fiacre sur les Grands Boulevards. Les camelots braillent les titres des placards qui publient en fac-similé le petit bleu adressé à Esterhàzy. M. de Castro reconnaît l'écriture d'un de ses clients. C'est bien Esterhàzy. Il le proclame et avertit Mathieu Dreyfus. Dès lors, maître Leblois, ScheurerKestner et Picquart, qui refusaient de livrer le secret pesant sur eux, se sentent libres d'agir.
Le 15 novembre, Mathieu Dreyfus écrit au ministre de la Guerre :
Monsieur le ministre,
La seule base d'accusation, dirigée en 1894 contre mon malheureux frère, est une lettre missive non signée, non datée, établissant que des documents militaires confidentiels ont été livrés à un agent d'une puissance étrangère.
J'ai l'honneur de vous faire connaître que l'auteur de cette pièce est M. le comte Walsin Esterhàzy, commandant d'infanterie mis en non-activité, pour infirmités temporaires, au printemps dernier.
L'Affaire, qui très bientôt va couper la France en deux et donner lieu à un regain de haine et de violence, ne fait que commencer. Le « sang à la une » des journaux à sensation va largement contribuer à exciter les bas instincts de leur lectorat.
Le 31 octobre, les quotidiens font leurs choux gras des horribles méfaits d'un chemineau, Joseph Vacher, qui éventrait ses jeunes victimes. Arrêté pour avoir tenté de violenter une femme, il est déféré au parquet. M. Garcin, juge d'instruction à Tournon, Ardèche, lui extorque les aveux de ses nombreux forfaits. Vacher est un monomane né en 1869, il fait deux séjours dans des asiles d'aliénés. Il en est sorti en 1894. On lui impute plus de onze meurtres avérés de bergers, de bergères et de femmes. Vacher sera condamné à la guillotine.
La mitrailleuse automatique Hotchkiss va bientôt équiper l'armée. Elle fonctionne automatiquement et peut tirer jusqu'à 500 cartouches d'infanterie par minute. Elle repose sur trois pieds et porte une sellette sur laquelle le tireur peut s'asseoir. Sur le champ de bataille, on la déplace très aisément. Le tir peut à volonté être conduit entre la vitesse de 100 à 600 coups par minute.
« Il faut être de son temps, récite Jean Coquelin. Quand on n'est pas de son temps on est "vieux jeu", et ça vous classe tout de suite... Vous êtes fini avant d'avoir commencé. »
Ce qui n'empêche qu'on peut lire dans Le Journal illustré que « les découvertes modernes constituent une atteinte à la liberté individuelle ». Ainsi, le téléphone qui avec ses fils enlace, ficèle, ligote les fonctionnaires et les employés ! Et que dire de cette satanique invention, le phonographe, qui pousse les gens sur la pente du suicide ? Est-il plus horrible supplice que d'entendre à travers le mur des voisins, alors qu'on s'apprête à dormir, l'épouvantable sonate de la maîtresse de piano dont on conserve les cylindres ? La romance de belle-maman ? La flûte, le hautbois, la guitare, la harpe, sans compter les sonneries téléphoniques et les courses de tricycle des chères têtes blondes à travers l'appartement au-dessus du vôtre ? Décidément, cela passe les bornes ! Ne devrait-on pas élever une statue au silence ?
En attendant, il n'est bruit au Palais de Justice que du cas de Mlle Jeanne Chauvin, bachelière en lettres et en sciences. Doctoresse en droit, elle réclame son inscription à l'ordre des avocats et l'autorisation de plaider à la barre. Cette revendication provoque un tollé dans le landerneau de la magistrature. Ces messieurs sont bien décidés à s'opposer à ce qu'une femme empiète sur leurs prérogatives. L'Illustration écrit : « Ou Mlle Chauvin, juriste savante, révélera, comme plaideuse, une incapacité notoire inhérente à son sexe, ou elle se montrera tout à fait à la hauteur de son ministère. » Affaire à suivre.
Et Jean Coquelin de déclamer :
« Pour être moderne avec les femmes, il faut oublier que ce sont des femmes. Après tout, les femmes sont des hommes comme nous... Ce sont des hommes du sexe féminin, voilà tout... »
L'année s'achève. Ceux qui prisent la lecture auront eu le choix entre : L'Orme du mail et Le Mannequin d'osier , d'Anatole France ; Les Nourritures terrestres , d'André Gide ; Ramuntcho , de Pierre Loti ; Les Chansons de Bilitis , de Pierre Loups ; Les Déracinés , de Maurice Barrès ; La Cathédrale , de Joris Karl Huysmans. Les
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