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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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personnalités. Plus d'un millier de visiteurs poussent les portes à tambour qui débouchent sur le Paris médiéval.
    Le cinéma ne désemplit pas. Pour cinquante centimes, le public peut voir sept films de 20 mètres chacun. M. Bellac est secondé par M. Bagrachow, chef de laboratoire chez Normandin et Cie. Il est 4 heures de l'après-midi, une nouvelle séance démarre. M. Bellac s'apprête à tourner la manivelle du projecteur lorsque la lampe faiblit et s'éteint. « Manque d'éther, sans doute », pense-t-il en dévissant à tâtons le bouchon du réservoir de la lampe. Il prie M. Bagrachow, assis dans le public, de lui donner de la lumière. Celui-ci ouvre le vasistas, écarte le rideau de séparation.
    — Je n'y vois pas suffisamment, dit M. Bellac.
    — Où est la boîte ? demande M. Bagrachow.
    « Je n'ai pas réalisé qu'il parlait des allumettes », déclarera M. Bellac.
    Trop tard ! M. Bagrachow en a frotté une. Les vapeurs d'éther s'enflamment, les pellicules de celluloïd prennent feu instantanément.
    Dans la grande rue du Vieux-Paris, personne n'a conscience du danger. C'est la cohue, il est presque impossible de se frayer un chemin à travers les allées. M. Bellac surgit de sa cabine, il a les mains brûlées.
    — Je ne peux pas maîtriser l'incendie, il faut évacuer d'urgence !
    On parvient à faire sortir une trentaine d'invités. Dans la salle de cinéma, tout brûle. La toile goudronnée répand une fumée noire. Soudain une langue de feu jaillit, grimpe jusqu'au plafond, court le long de la rue médiévale, embrase le décor, dévore le fouillis fragile de tentures, de rubans, de dentelles.
    La panique s'empare de la foule. Les premiers arrivés devant les portes à tambour s'affolent, tirent au lieu de pousser, s'effondrent et bloquent les issues. Le Bazar est un immense piège à feu.
    À l'extérieur, les secours s'improvisent. Les ouvriers, les cochers, les cuisiniers de l' Hôtel du Palais se précipitent dans la fournaise et parviennent à sauver quelques femmes et enfants.
    Il est 4 heures 30, tout est fini. On dénombre cent vingt-cinq morts et plus de cent blessés. Parmi les morts, cinq seulement appartiennent au sexe fort : trois vieillards, dont un général, un médecin, le Dr Foulard, et un groom de douze ans. Or cet après-midi-là, on comptait plus d'une centaine de jeunes gens et d'hommes mûrs portant pour la plupart des noms à particule.
    Sévérine écrit dans Le Journal :
    « Parmi ces hommes on en cite deux qui furent admirables, et jusqu'à dix en tout qui firent leur devoir. Le reste détala, non seulement ne sauvant personne, mais encore se frayant un passage dans la chair féminine, à coups de pied, à coups de poing, à coups de talon, à coups de canne. »
    Le romancier Marcel Prévost s'indigne :
    « Prenez garde à ce qui vous menace le jour où vous entendrez crier "Au feu !" non plus dans un hangar de planches où sont réunies un millier de mondaines, mais dans le vieil édifice vermoulu de la société finissante. Parmi le sauve-qui-peut universel, vous ferez bien, ce jour-là, de ne pas compter sur les messieurs avertis de théories modernes. »
    1897 est une année moderne.
    Le comédien Jean Coquelin, de la Comédie-Française, se veut le porte-parole pince-sans-rire de cette sempiternelle modernité lorsqu'il récite l'un des monologues dus à la plume de Jean Mézin :
    « Pour être moderne en politique, il faut promettre des réformes... celles que le pays attend. Il est inutile de les voter, puisque le pays les attend ; mais il faut en parler souvent, et y penser toujours... ou du moins en avoir l'air... Il faut surtout flanquer une tripotée à celui qui n'y pense pas... en l'appelant vendu... ou rallié. Ça s'appelle une attitude... C'est très moderne. »
    En 1897, on est dans le vent. Les classes sociales s'ignorent, il existe toujours deux poids deux mesures entre les sexes. Dans l'industrie moyenne, le salaire journalier à travail égal est de 6,15 francs pour les hommes et de 3 francs pour les femmes. Les demoiselles du téléphone gagnent 800 francs par an, enfermées dans des salles hermétiquement closes où, durant l'été, la température dépasse 30 degrés. Quant aux demoiselles de magasin debout de 8 heures du matin jusqu'à 10 heures du soir, elles obtiendront enfin le droit au siège tant réclamé en 1901.
    Décidément, rien n'arrête le progrès. En septembre, on peut lire dans La Nature une publicité concernant le

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