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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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babylonien et salua le seul arbre de l'Opéra, un robinier qui avait réussi à croître au pied d'un pylône décoratif. Aussi minuscule que Melchior, il était doté du même appétit de vivre.
    Paris orchestrait sa marche matinale vers son pain quotidien. Sur les Boulevards, demoiselles de magasins, cousettes, petites mains, demoiselles des téléphones, les yeux bouffis de sommeil, se rendaient à l'ouvrage tandis qu'une légion de camelots investissait le bitume. Des hommes à paletot râpé, à haut-de-forme beurré, s'engouffraient dans les officines de contentieux, les banques, les études de notaires. Les omnibus déversaient des essaims de jupes, de corsages fleuris, de chapeaux enrubannés, de redingotes sombres. Un employé de la voirie promenait son balai de bouleau sur les trottoirs et les souliers.
    Par bonheur, un fiacre stationnait près du groupe de la Danse. Melchior s'y pelotonna, grelottant de fatigue et de faim.
    Paris étirait ses jointures, des quartiers cossus aux quartiers populeux. Melchior aimait observer la chorégraphie des faubourgs au saut du lit. Le fiacre contourna un troupeau d'ânes dont le gardien embouchait sa trompette à intervalles réguliers, puis il laissa derrière lui un marchand de peaux de lapin. Sous des portes cochères, des crémeries en plein vent proposaient le déjeuner du matin. Un mastroquet empilait des journaux sur sa rangée de guéridons, des ménagères encombrées de paniers papotaient au seuil des boutiques, une boulangère emplissait ses corbeilles de pains blonds poudrés de farine.
    Melchior se promit une orgie de croissants dès qu'il se serait acquitté de sa première course : le paquet.
    Le fiacre déboula place du Trône, face aux deux colonnes plantées à l'octroi du cours de Vincennes, et s'engagea rue de la Voûte.
     
    Cela faisait vingt-quatre heures que le commissaire Raoul Pérot, abîmé dans la douleur, négligeait de peigner ses bacchantes en guidon de bicyclette. Ses bottines étaient crottées, il avait oublié d'enfiler une chaussette et endossé par mégarde un complet destiné aux œuvres charitables. Ses dernières créations poétiques de vers libres, inspirés des œuvres de Marie Krysinska 16 et de Jules Laforgue, recouvraient son bureau. Il les signait toujours du pseudonyme d'Isis. Mais bien qu'il eût réalisé son rêve d'être publié dans le Gil Blas , il se sentait couler. Sa chère tortue Nanette, frappée d'un mal mystérieux, était morte une semaine plus tôt et, comme si cela ne suffisait pas, Toutoune, un bâtard noir tacheté de blanc, adopté à Noël, avait rendu l'âme sous les roues d'une ambulance municipale. Tous deux reposaient côte à côte, Nanette enfermée dans une boîte enjolivée d'un chou de bolduc, Toutoune, enveloppé de sa pèlerine. Un fumet aigre commençait à flotter dans la pièce tapissée de livres et l'emportait sur l'arôme de café.
    — Ah, si j'étais resté à la Chapelle, ce drame eût été évité ! Pauvre Nanette, elle n'a pas supporté ce charivari, et toi, mon petit Toutoune, tu méconnaissais les embûches de la rue.
    Ballotté depuis cinq ans de poste de police en poste de police, le commissaire Raoul Pérot venait d'échouer en terre inconnue. Sans doute pour se faire pardonner ce déménagement intempestif du VI° au XIV° arrondissement, via le quartier de la Chapelle, l'administration lui avait permis de conserver le soutien de ses fidèles subordonnés : Bucherol, Chavagnac et Gerbecourt.
    Il prêtait une oreille distraite aux explications alambiquées de ce dernier.
    — En résumé, un cadavre, un témoin, c'est ça ?
    — Un suspect, chef. Le mort porte une blessure à la tempe.
    — Querelle d'ivrogne ?
    — Allez savoir, chef. Le suspect clame son innocence. Il affirme qu'un certain Poulfin qui loge rue Roger le disculpera.
    — Eh bien, convoquez-le, ce Poulfin.
    — Bucherol s'en charge, chef, il est en route.
    — Parfait. Où est le corps ?
    — On a pris sur nous de l'envoyer à la morgue, chef, ici on est les uns sur les autres. On s'est dit qu'une autopsie serait judicieuse, surtout qu'on ignore l'identité du décédé. Voilà chef, il faudrait signer les bordereaux de transport.
    — Excellente initiative. Qu'avez-vous fait de votre suspect ? Je ne l'entends pas.
    — Il est dans la cage, il dort. Chavagnac veille au grain.
    — Parfait, parfait. Servez-nous du café.
    Raoul Pérot se cala au fond de son siège et formula une prière mentale :
    « S'il y a

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