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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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de vifs applaudissements.
    Les invités s'égaillaient, les musiciens roulaient leurs partitions. Le violoniste barbu bouclait son instrument, le pianiste, un flûtiste et un hautboïste lui souhaitèrent une agréable fin de nuit.
    Joachim Blandin affronta le royaume des trépassés. Son estomac gargouillait. Il coinça sa boîte à violon entre ses genoux, extirpa de sa veste le paquet délivré par le petit homme et engloutit le cochon en pain d' épice.
    Il s'était laissé distancer. Autour de lui, l'espace glacial, peuplé de rictus, semblait l'épier. Parfois, le reflet de sa bougie sur les parois donnait vie aux restes des trois millions de morts qui reposaient là.
    Il était trop vieux pour avoir peur. Il s'enfonça dans une zone d'ombre, à moins d'un mètre du mur d'ossements et soudain, il fut perdu. Il tourna, oppressé, sans parvenir à rattraper ses collègues. Il pesta contre ses jambes lourdes, il avait pourtant très peu bu. Ses tempes battaient à tout rompre. Il fit volte-face et distingua une volée de marches. La flamme de sa bougie devint minuscule comme si la lumière était bannie de cet endroit. Mon Dieu, quel froid ! Sa boîte à violon lui échappa, un goût de fer lui vint aux lèvres. Il se rua dans l'escalier.
    Enfin, il gagna l'air libre, longea la rue Saint-Jacques dans un état second et traversa la place Denfert-Rochereau. Des pavés étaient descellés, de sorte qu'à maintes reprises l'un d'eux basculait sous son pied en produisant un bruit sec. Joachim Blandin redoubla de prudence et enfila la rue Froidevaux. On eût dit un danseur de corde sur le point de tomber.
    Il fit plusieurs mètres, dérapa et percuta un réverbère. Une crampe le plia en deux. Il reconnut les signes précurseurs d'une nausée. Couvert de sueur, il cambra les reins, mais son corps pesant l'entraînait en avant, ses membres étaient parcourus de fourmillements. Au loin résonnait une chanson braillée à tue-tête :
    Mais psitt ! Tout à coup on quitte la ronde,
    On se pousse, on fuit, le coq a chanté !
    Il voulut appeler, impossible.
    En un ultime effort, il banda ses muscles. Son cœur s'affaiblissait. Il réussit à se convaincre qu'il succombait à un de ces rêves d'ivrogne qui vous expulsent du premier sommeil
    « Je suis en train de me réveiller », se dit-il en tentant d'esquisser quelques pas. Il tangua et s'écroula dans le caniveau. Sa tête heurta violemment la bordure du trottoir.

CHAPITRE VII
    Samedi 3 avril
     
    L'homme à la casquette passa la tête à travers le macadam. L'ouvrier en faction à l'angle des rues Froidevaux et Gassendi éteignit son mégot et lui tendit la main.
    Une lanterne portée à bout de bras illumina la chaussée déserte, un torse émergea du sol suivi d'une paire de jambes gainées de cuissardes. L'homme à la casquette prit pied sur le trottoir. Il se courba pour encastrer une plaque de fer au-dessus du regard de descente vers l'égout. La cloche de l'hospice Marie-Thérèse sonna la demie de trois heures. Milou Pottier aspira une goulée d'air. Après une rude journée à curer les ordures dans les entrailles de la capitale, il avait hâte de retrouver la chaleur du bistroquet Bien faire et laisser dire où on lui servirait un casse-croûte au fromage arrosé de gros-plant.
    — T'as fait une bonne récolte ? questionna l'ouvrier en faction.
    — Tu parles ! Une épaulette de shako, une cuiller à absinthe et des épingles à cheveux. Ah, mon vieux, ce turbin, c'est pas farce ! Tu crois qu'ça m'arriverait de dégoter un porte-monnaie lesté ! Tu m'accompagnes ?
    — Non, je vais roupiller, salut, Pottier.
    — Salut, Poulfin.
    Deux sergents de ville débonnaires déambulaient le long du cimetière Montparnasse lorsqu'ils portèrent leur attention sur un quidam aux bottes maculées. II était accroupi auprès d'un individu en état manifeste d'ébriété et lui soulevait alternativement les bras qui retombaient comme des sacs de son.
    — Eh, mon gaillard, on a repêché un adepte de la soûlographie ?
    — Il tient un fameux coup de sirop, votre copain ! Milou Pottier se redressa, ôta sa casquette et grommela :
    — C'n'est pas mon copain, j'l'ai jamais vu, ce gonze. Il a tout du macchabée, ouiche !
    — Vous cherchez à nous blouser ? Nous avons l'habitude des pochards, à vue de nez ce barbu empeste à dix mètres.
    — C'est moi qui chlingue. Lui, il vient d'être exproprié 12 , il est encore chaud, parole ! M'est avis qu'à c't'heure, il prépare son

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