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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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des fers à cheval, des montagnes d'écrous et de boulons.
    — Une machine à vapeur, ça te tenterait pour réchauffer tes nuits solitaires ? brailla un Auvergnat en sabots.
    — Vends-lui plutôt une machine élévatrice, ça lui fera gagner quelques centimètres ! s'esclaffa une brocanteuse édentée.
    De la pointe de son soulier, Melchior traça dans la rouille tapissant les pavés les silhouettes de deux pendus.
    « Mon Omniscient, merci de m'avoir tanné le cuir, ces vannes viennent de trop bas, je les dédaigne, je suis un géant. Quelle crasse, quel désordre, jamais je n'ai contemplé un tel embrouillamini de métaux, ils vendent même des zincs en étain, et là, des chaudières, des tringles à rideaux, des ancres marines ! Noé serait à la fête pour construire une arche, notez qu'il y avait embarqué des animaux, preuve que ces saletés d'humains ne l'intéressaient pas plus que ça ! C'est comme moi, je leur crache dessus. Ah, enfin quelque chose qui aura son utilité ! »
    Il s'accroupit et, parmi un enchevêtrement de rebuts métalliques, s'empara d'une gouge de sculpteur.
    — On va rigoler, mon coco, la vengeance est plus douce que le miel.
     
    Cuit à ébullition, le miel prit la consistance d'une crème, qui fut mêlée à la farine avec une cuiller de bois. Les deux substances s'incorporèrent en une pâte épaisse qui fut étendue à refroidir dans une huche. Un demi-verre de lait où avaient infusé la veille quinze grammes de potasse bien blanche fut ajouté. Des mains malaxèrent le mélange et le saupoudrèrent de gingembre et de cannelle. Surtout, ne pas oublier les pincées de ce qui allait muer ce pain d'épice en un mets unique, le dernier auquel goûterait le destinataire de ce porte-bonheur. Voilà, emplir le moule, le placer au four.
    Facile en fin de compte. Empoisonner son prochain ne requérait qu'une bonne recette, un minimum d'habileté et beaucoup de sang-froid.

CHAPITRE X
    Mercredi 7 avril
     
    Agénor Féralès ne décolérait pas. À peine la bague au doigt, Maria, ce cher ange qu'il courtisait depuis plus d'un an et qui l'avait comblé d'attentions tant qu'il se soumettait à ses caprices, négligeait son anniversaire ! Il s'était éveillé plein d'entrain, persuadé qu'elle lui servirait son petit déjeuner au lit et s'empresserait d'aller quérir sous une pile de draps un paquet noué d'un ruban doré. Au lieu de quoi, elle s'était barricadée dans le cabinet de toilette tandis qu'il sirotait une lavasse amère et grignotait des gressins. Mauvais augure d'avenir marital !
    Comme chaque matin, ils empruntèrent l'omnibus pour se rendre au travail, à la différence que cette fois ils n'échangèrent aucune parole. Agénor pénétra en coup de vent dans l'Opéra afin de seconder le régisseur et le maître de ballet pendant la répétition de La Flûte enchantée , dont une représentation exceptionnelle était bientôt prévue. C'est alors que Maria s'exclama :
    — Il faut absolument que tu m'accompagnes, nous avons un ennui à cause des coiffes de perles que doivent porter Mlles Désiré, Zambelli et Viollat.
    Agénor fit volte-face et la considéra d'une expression menaçante.
    — C'est ton boulot !
    Elle insista, alléguant que lui seul avait assez d'autorité sur les modistes, des pécores mal embouchées toujours prêtes à supplier Clodomir, le figaro adulé de ces dames, de les prendre sous son aile.
    En maugréant, la tête rentrée dans les épaules, il se lança d'un pas lourd dans l'escalade des étages. L'atelier des tailleurs était silencieux. Des trente ouvriers qui y maniaient les ciseaux sous les ordres d'un contremaître inflexible, nul n'était à son poste. Seuls des rouleaux de taffetas, de cheviotte, de ratine, de bombasin, de futaine s'empilaient sur des tables où s'étalaient des dalmatiques et des culottes bouffantes inachevées.
    — C'est quoi ce cirque ? Une grève ?
    Furieux, Agénor glissa sur un haut-de-chausse en accordéon et se rattrapa de justesse à une table à repasser.
    Il courut derrière Maria, disposé à donner libre cours à son indignation, mais elle s'était déjà engouffrée dans l'atelier des couturières.
    — Vas-tu m'expliquer, à la fin ? rugit-il.
    — Joyeux anniversaire, Agénor ! brailla une centaine de collègues.
    Ébahi, il se vit entouré de cousettes, de chapeliers, de cordonniers, des tailleurs au grand complet, du chef costumier, des concierges, sans compter Riquet Lesueur, sapeur-pompier à la

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