Le petit homme de l'Opéra
le lui enfourna dans la bouche.
— A la rescousse ! enjoignit-elle à Riquet, Aubin et Oscar.
Aubin recula, les deux autres le maintinrent, lui pincèrent le nez et le forcèrent à ingurgiter le cochon.
— Bravissimo, encore, encore !
— Arrêtez, nom de Dieu, j'ai ma ration ! vociféra Agénor.
—Tiens, bois une pinte pour digérer c't étouffe-chrétien, brailla Oscar.
Cramoisi, Agénor se désaltéra au goulot d'une bouteille sous les applaudissements, puis tous se ruèrent vers le buffet. Le sol se couvrit de serpentins, de miettes et d'emballages parmi lesquels fut piétiné le mot contenant une allusion à Agénor-Tamino
—Mesdames et messieurs, la fête est finie, il est temps de reprendre le turbin, mes hommes et moi allons briquer les lieux ! clama le capitaine des pompiers.
— M'sieu Féralès, je m'excuse, on vous demande d'urgence au jeu d'orgue, y a un problème, annonça Aubin Combret.
— Tu sais ce qu'on leur réserve aux porteurs d'échos alarmants ?
— Non, m'sieu.
— Je te ferai un dessin. Ils ne peuvent pas se débrouiller seuls, ces crétins ? Maria, je descends.
Il embrassa sa femme, attendri à la vue de l'épingle qu'elle insista pour piquer à sa cravate.
— C'est une vraie parure de richard, constata Aubin.
— Toi, morveux, ce n'est pas demain la veille qu'une femme se mettra en quatre pour t'en gratifier, rétorqua Agénor en s'éclipsant.
Le couloir bruissait. Des chanteurs et des choristes galopaient de-ci de-là, croisaient des musiciens, violon ou cuivre sous le bras. D'une loge s'échappaient les vocalises d'un ténor. Clodomir était réclamé à grands cris.
Agénor Féralès parcourait le domaine des hydrauliciens chargés d'alimenter les bassins inclus dans les décors et celui des mécaniciens affectés à muer les danseuses en oiseaux ou à enflammer les philtres diaboliques. L'atmosphère des boyaux dégageait une humidité malsaine, mais jamais il n'avait ressenti un froid si pénétrant. Il grelottait, des mouches colorées dansaient devant ses yeux. Il eut un éblouissement conjugué à une oppression thoracique. Il s'appuya contre un pont roulant et récupéra assez d'énergie pour accéder au service des artificiers créateurs d'orage, d'éclairs, d'incendies et de fusillades.
— Ça ne tourne pas rond ? s'enquit un des techniciens.
Il ébaucha un geste de dénégation et se cravacha mentalement afin de ne rien perdre de sa superbe. Le vin ! Quelle sottise d'avoir mélangé le rouge et le blanc ! Un faisceau de rayons pourpres l'aveugla. Le chef d'éclairage, blotti dans une niche jouxtant le trou du souffleur, surveillait les effets d'ombres et de lumières obtenus par le jeu d'orgue. Agénor tenta de fixer l'appareil placé au-dessous de l'avant-scène et de deviner en quoi cet assemblage de tuyaux massifs manœuvrés par une roue avait grippé.
— Quand j'exige la nuit sur le plateau, c'est un crépuscule progressif, pas le noir qui vous tombe dessus comme une avalanche, comprenez-vous, Vallenot ? martelait le régisseur, les nerfs à fleur de peau. Ah, vous voilà Féralès, les festivités sont terminées ? Vous êtes repu ? J'ai besoin de vos clartés, c'est le cas de le dire. Nous nageons dans la purée de pois ! Mais fermez cette trappe, vous autres, j'ai failli me ramasser une gamelle !
Agénor acquiesça, incapable de proférer un son. Une figure lumineuse en forme de scie brouillait sa ligne de vision, le monde devint indiscernable, il se mit à trembler.
Soudain, un grésillement fut suivi d'une totale obscurité.
— Court-circuit ! hurla un électricien.
Agénor chancela vers le côté où se dressait le tableau de commande des cloches. Le sol se déroba sous lui, il bascula dans le vide et tout ce qui avait constitué sa personnalité se fragmenta. Il cessa si rapidement d'appartenir à la réalité qu'il n'eut pas conscience de la quitter.
Quand la panne fut réparée, la confusion manqua provoquer de nouveaux accidents. M. Philippon, le sous-chef machiniste, remonta d'une traite à la recherche du médecin.
Là-haut, on ignorait tout du drame. Le chef machiniste tapa sur un gong.
— Nous commençons, messieurs-dames ! Répétition. Libérez le plateau.
Dans les coulisses, la Reine de la Nuit, couronnée d'une tiare enchâssée d'étoiles, maudissait le costumier en observant d'une physionomie furieuse le travail de l'habilleuse qui, à ses genoux, raccourcissait son manteau noir.
— On souhaite la présence de la
Weitere Kostenlose Bücher