Le petit homme de l'Opéra
be... Who knows... Ce n'est pas exclu. Il nous faudrait une réponse rapide, estimez-vous avoir terminé d'ici la fermeture ?
— Je vais m'y efforcer. La gamme des substances vireuses est plus limitée que notre écrivain ne le suppose : il y a les poisons minéraux, arsenic, acide sulfurique, cyanure de potassium, les poisons microbiens que j'écarte d'emblée car ce serait jouer avec le feu, les poisons organiques tels que venins d'insectes ou de serpents, strychnine, etc., et les poisons végétaux, nombreux, je vous l'accorde, les plus célèbres étant la ciguë, l'opium et la belladone. Exquise trouvaille d'avoir utilisé un cochon de pain d'épice. Je reconnais la créativité du romancier. Si les clients ne me harcèlent pas trop, vous aurez la solution ce soir même ! Et rappelez-vous, monsieur Legris, la main devant la bouche ! Les microbes, les microbes...
Victor s'apprêtait à rallier la librairie quand il tomba en arrêt face à une affiche collée sur une palissade :
VOS PLANTES ET VOS FLEURS
POUR LA SAISON PROCHAINE
Succursale vente en gros à
LA ROSE ET LE RADIS
21, rue Mignon.
Une association d'idées se forma en lui. Où avait-il récemment entrevu un reportage à propos des plantes nuisibles ? Ah oui ! L'horrible salon où il se morfondait en attendant Amédée Rozel ! Voyons, quel journal ? Le Figaro , Le Gaulois , L'Éclair ? C'était un lundi... Un dessin en occupait la une, il représentait la reine Victoria reçue en grande pompe à Cherbourg. Le supplément illustré du Petit Journal , qui paraissait le dimanche ! Le siège était situé 61, rue La Fayette, à proximité du square Montholon où vivait le sieur Rozel. S'agissait-il de plantes délétères — et les considérait-on en ce cas comme des toxiques ? — ou vénéneuses ? Il décida de vérifier incontinent.
Surnommé par les Américains « le colosse des journaux », à cause de ses tirages faramineux, Le Petit Journal suivait une ligne éditoriale claire : point de polémique ni de discussion, et publiait avec un succès croissant des articles variés : beaucoup de faits montés en épingle, tous les éléments de la vie pratique, des feuilletons signés de romanciers en vogue, des nouvelles sensationnelles, du scandale, du sang. Il ne se commettait pas un seul crime dans le plus insignifiant village qui ne soit relaté sur plusieurs colonnes, assaisonné de détails épouvantables. Près de quatre cent mille exemplaires par jour, voilà qui était mieux que bien ! Chaque dimanche, son Supplément illustré obtenu par les rotatives chromo-typographiques de M. Marinoni proposait un cliché dramatique ou une scène de guerre parvenant à réunir dix couleurs. Il s'enlevait dans toute la France au prix de cinq centimes.
Après avoir fourni ces informations à Victor, l'échalas à lorgnon, commis à présenter aux lecteurs les numéros des semaines écoulées, guida d'un pas sautillant le visiteur jusqu'à une salle où les feuillets étaient soigneusement empilés.
— Votre requête ne me prendra pas la journée, tenez, voici votre affaire, 14 mars 1897. Je vous laisse le consulter, attention, ça se déchire. J'allume, on n'y voit goutte, la direction a installé une Polaire parce que le fabricant nous gratifie de sa publicité, c'est une lampe à incandescence. Je n'ai qu'une trouille, c'est que ça se renverse et que le pétrole s'enflamme !
Victor s'assit à un bureau doté d'un globe à lumière blanche brûlant sans odeur ni fumée. La chronique qu'il cherchait s'étalait pleine page. On y évoquait les propriétés et les dangers du colchique, de l'ellébore, du datura, de l'aconit, de l'euphorbe et de la jusquiame. Victor apprit que, de ces végétaux communs, l'homme avait le talent d'extraire médicaments ou poisons. Le colchique d'automne, baptisé safran bâtard, émaillait les prés, il s'épanouissait en septembre – de jolis pétales pourprés dont un peintre eût ponctué sans discernement une verte prairie, mais pas touche ! Les animaux s'en éloignaient prudemment, il convenait de les imiter. Quant à l'ellébore, on en découvrait les « roses de Noël » dans les bois et les buissons à la fin de l'hiver et si les Grecs, qui se figuraient être un peuple sage, prétendaient guérir la folie grâce à ce végétal, il n'en demeurait pas moins pernicieux. Il fallait impérativement éviter toute amitié avec le datura abondant au pied des tours médiévales.
« Qu'en est-il des constructions
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