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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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ce cochon, et pourquoi ? Était-ce un avertissement signifiant : « La prochaine fois, gare, ce ne sera pas une galéjade et celui ou celle de ton entourage qui mordra dans mon cadeau essuiera un destin identique à celui de Tony Arcouet, Joachim Blandin et Agénor Féralès ! »
    Victor avait ressenti la peur et la colère, mais il était maintenant la proie d'une anxiété confuse résultant d'une situation inédite. S'il s'obstinait à poursuivre son enquête, il était susceptible d'actionner un couperet qui trancherait la tête d'un de ses proches plus rapidement qu'un rideau métallique lâché des cintres sur la scène d'un opéra.
    Soudain, il se répéta les paroles de M. Chaudrey : « Ils suffoqueraient illico. » N'était-ce pas ainsi qu'était morte Mme Broussard, la femme du quincaillier ?

CHAPITRE XIV
    Mercredi 14 avril
     
    Pauline Drapier était recroquevillée contre la cloison de bois d'un wagon déglingué de chemin de fer. Elle avait dormi là, enroulée dans une couverture, après avoir cédé à la panique. La veille, en revenant des courses, rue de Charenton, elle avait trouvé sa porte entrebâillée et découvert sur sa couchette douze bons points, sept verticaux, cinq horizontaux, disposés en croix, ce qui ne laissait planer aucune incertitude sur le sort qu'on lui réserverait si jamais elle osait témoigner de ce qu'elle avait vu le mois dernier.
    Elle fut saisie d'un frisson et se dirigea prudemment vers son logis. Elle se hâta de regrouper ses manuels scolaires et ses effets. Elle feuilleta Francinet : le carton d'invitation pour la représentation de Coppélia à l'Opéra avait disparu. C'est alors qu'elle entendit le bruit.
    Quelqu'un pleurait.
    Elle alla jusqu'à la fenêtre. Sa main trembla comme elle écartait le rideau pour regarder au-dehors. Une aube trayeuse repoussait lentement les ténèbres. Des volutes de brouillard ensevelissaient les glacis des fortifications. A nouveau, elle perçut les plaintes. Un enfant ?
    Elle s'arma de courage, ouvrit d'un coup... et vit le chat. Il était famélique. L'animal leva vers elle ses yeux topaze.
    — Monsieur Duverzieux !
    Elle le prit dans ses bras, il ne pesait pratiquement rien.
    — Pauvre monsieur Duverzieux, tu as faim ! Elle le posa sur le plancher, tira de son cabas une saucisse qu'elle coupa en morceaux.
    — Mange, moi, je ne peux rien avaler... Dorénavant, nous sommes deux, murmura-t-elle, mais nous ne sommes pas à la hauteur.
    Obsédée par l'angoisse, elle se sentait incapable d'attendre jusqu'au 18 avril pour établir ses pénates au Trône. Seule avec un chat, dans sa roulotte isolée, à quelques centaines de mètres de la maison de la malheureuse Suzanne Arbois retrouvée morte au fond de son puits, elle se rongeait les sangs, obnubilée par l'ombre à la houppelande. Elle saisit son paquetage, fourra le chat dans le cabas. Une connaissance de Mme Célestin, Louise Weber, s'était proposée de l'héberger quelques nuits en échange du gardiennage de sa baraque.
    Presque dix ans auparavant, Louise Weber avait attiré le Tout-Paris au Moulin-Rouge sous le sobriquet de la Goulue en faisant virevolter les soixante mètres de dentelle de ses jupons et en projetant son pied gaine de satin noir au-dessus de sa tête. Aujourd'hui, le Montmartre du cancan, celui de Salis et de Bruant n'était que souvenirs. La Goulue avait vingt-huit ans, elle était encore mince, mais la naissance d'un enfant avait prématurément altéré sa jeunesse. Elle avait abandonné le quadrille sans renoncer pour autant à produire en public. Avec ses économies, elle avait monté un numéro de foire où, parée d'un costume mauresque, entourée de quelques figurantes, elle se tortillait en une exhibition de chorégraphie lascive qu'elle nommait Danse de l'Almée. Elle se déplaçait de la place du Trône à la fête de Neuilly. Au printemps 1895, afin de se faire de la réclame, elle avait prié Toulouse-Lautrec de décorer la façade de sa baraque de grandes fresques carrées d'environ trois mètres sur trois. A gauche de l'entrée, il l'avait peinte au sommet de sa gloire au côté de Valentin le Désossé, à droite, il l'avait brossée en almée devant un parterre de spectateurs où l'on pouvait reconnaître Gabriel Tapié de Celeyran, Paul Sescau, Jane Avril, Félix Fénéon, Oscar Wilde ainsi que lui-même.
    En dépit de sa pruderie, Pauline Drapier avait sauté ur l'occasion. Lorsqu'elle toucha la place du Trône, le montage se terminait au

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