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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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l'encourager. Restait à espérer que le libraire touchât rapidement au but.
    « Qu'il tire les marrons du feu, je saurai les accommoder à mon profit ! »
    Victor s'engouffra dans un fiacre en maraude à la minute où Melchior s'agrippait à la poche de sa veste. La portière se rabattit in extremis au nez de l'avertisseur dont les lèvres proféraient des grossièretés.
    Victor recouvra son calme alors que la voiture parcourait l'avenue de l'Opéra dotée depuis plus d'un an, sur ses trottoirs et en son milieu, de candélabres où brasillaient des lampes à arc. Mué en drageoir, le palais Garnier perdait son apparence de chaudron morbide à mesure qu'il s'amenuisait. Se détendre, effacer les images d'Eudoxie, de Melchior. Il serait temps de réfléchir le lendemain.

CHAPITRE XIII
    Mardi 13 avril
     
    Réveillé aux aurores à la suite d'un cauchemar au cours duquel un fouet lui entravait les chevilles et l'entraînait vers la gueule d'un énorme porc affamé, Victor s'était levé sans bruit. Vêtu à la hâte, il visitait le hangar de M. Baudouin. La veille, le menuisier en avait confié la clé à Tasha. Elle l'avait entortillée d'un ruban et posée en évidence sur l'oreiller jumeau. Quand il était rentré de l'Opéra, elle dormait profondément.
    Il pensa qu'il faudrait commencer par dépoussiérer à fond et repeindre, ensuite on installerait des prises d'eau et des éviers. Il avait largement de quoi caser ses appareils et des meubles de rangement où, enfin, seraient archivés par date et par sujet les clichés réalisés ces dernières années. Jusqu'à présent, il n'avait jamais eu à portée de main l'ensemble de ses reportages dispersés dans les pièces de l'appartement. Il était hors de question de rivaliser avec le laboratoire photographique que Mme la baronne de Rothschild venait de faire bâtir dans un jardin contigu à son hôtel de la rue de Monceau, mais, en utilisant l'espace de façon rationnelle et en érigeant des cloisons, il pourrait agencer d'un côté tout ce qui concernait les négatifs et de l'autre les positifs ainsi que l'emplacement affecté aux retouches et au satinage. Des étagères supporteraient châssis, flacons d'hyposulfite, révélateurs et verres de différentes couleurs destinés à varier l'éclairage suivant les besoins. Le chauffage serait distribué par un calorifère.
    Il s'offrit un café-croissant chez le bougnat du coin, puis retourna au 36 bis griller une cigarette dans la cour où, étalée sur le dos, les quatre pattes en l'air, Kochka exposait béatement son ventre aux rayons d'un soleil presque tiède. S'évertuant à demeurer discret, il entra dans l'atelier de Tasha. Inutile, elle était éveillée. Assise dans l'alcôve, elle avait rejeté les draps et s'apprêtait à mordre dans un gâteau qu'il identifia sans peine. En quatre enjambées, il fondit sur elle et lui arracha le cochon.
    — Malheureuse, n'y touche pas ! Tiens, essuie-toi, c'est plus prudent, marmonna-t-il en lui tendant son mouchoir.
    Stupéfaite, elle le dévisageait. Devenait-il fou ?
    — Et moi qui croyais te plaire en obéissant à ton injonction !
    Elle désigna un feuillet froissé sur la table de chevet.
    Que cette douceur incite ma chérie à se lever tôt. lut-il.
    — Ce n'est pas mon écriture, voyons !
    — Ah ? Je me suis dit que c'était une prévenance de ta part, même si le livreur m'a éjectée de mes rêves en m'obligeant à me traîner jusqu'au seuil.
    — À quoi ressemblait-il ? Un homme plus petit que la normale, un veston à carreaux ?
    — Tu divagues ! Il portait la tenue réglementaire d'un postier et il m'a priée de signer un reçu. Où étais-tu passé ? Aurais-tu découché ? Il m'a pourtant semblé percevoir cette nuit des ronflements sonores.
    — J'étais allé jeter un coup d’œil au hangar de M. Baudouin, répliqua Victor qui considérait avec horreur le cochon sur lequel s'étirait le prénom de sa femme tracé en guimauve violette agrémentée de fioritures.
    Il enveloppa l'objet dans le papier de soie.
    — Je ne suis pas l'auteur de ce cadeau, c'est sûrement une blague d'un de tes amis de la Butte !
    — Une blague ? Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle à m'offrir une gourmandise !
    — Voyons, ma chérie, songe à ta ligne, ces machins-là sont extrêmement sucrés, saturés de graisse. De plus, leur médiocre qualité se révèle parfois redoutable, je ne voudrais surtout pas que tu risques une intoxication alimentaire dans ton état.

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