Le peuple du vent
d’enfants et de curieux, paradaient au milieu de la foire au pas lent de leurs chevaux. Les valets qui les accompagnaient discutaient avec les gens. Autour d’eux, la foule était de plus en plus nombreuse.
— Celui qu’a un grand mantel noir et un bâton de marche ? fit Bertil qui avait l’oreille fine. J’sais où il est, moi !
— Comment sais-tu de qui nous parlons ? demanda le jeune homme, interloqué.
— L’est point commun, c’t’homme ! répliqua le petit avec assurance. Une figure à faire peur et des mains comme des battoirs à linge. Et puis, les moines y sont noirs, ou blancs, lui il a la robe blanche et le mantel noir ! L’est chez l’apothicaire de l’abbaye. L’était déjà à la foire l’an passé.
Hugues n’avait pas quitté des yeux les cavaliers aux capes rouges. Ils ne pouvaient retourner vers leurs destriers sans les croiser. Il rabattit le capuchon de son burnous sur son crâne et fit signe à Tancrède de l’imiter.
— Conduis-nous ! ordonna-t-il au gamin. J’ai changé d’avis, je veux voir la marchandise de cet apothicaire.
26
Le moine infirmier de Lessay avait installé son étal le long de l’enceinte de l’abbaye. Deux novices disposaient sur les draps blancs qui recouvraient les tables des potions, des onguents, des bouquets de feuilles et de fleurs séchées, des racines, des tubercules et des poudres à diluer.
La haute silhouette du moine blanc se dressait à l’autre bout de l’étal. Il était en grande conversation avec l’infirmier.
— J’ai dû repartir... Je n’ai pas eu le temps de passer vous voir... Je vous ai apporté des graines d’Acrimonia et de Boberella ainsi que des rhizomes de Vulgigina, disait Aubré.
Les deux compagnons s’avancèrent, suivis par Bertil qui, décidément, trouvait que ses nouveaux maîtres avaient de singulières manières.
— Nous utilisions la Vulgigina en huile, mais vous le savez, elle ne se plaît pas ici, déclarait l’apothicaire de Lessay.
— J’en ai quelques pieds, répondait frère Aubré. Je l’utilise comme diurétique ou vomitif. Elle est parfaite pour soulager l’estomac. Est-ce que vous avez réussi à m’avoir de la Parduna ?
— Oui.
L’apothicaire sortit de l’un des coffres de bois qu’il dissimulait sous la table un sac de toile de jute qu’il posa devant lui. Il le fouilla et glissa une boîte recouverte de cuir dans la main du moine blanc.
— Voilà ! Avec ça, vous devriez y arriver. J’ai la chance de l’avoir acclimatée dans des ruines non loin d’ici. Elle s’y plaît. Tant qu’elle poussera ainsi, je pourrai vous en donner.
Au fur et à mesure qu’il parlait plantes et graines, le rude visage d’Aubré s’adoucissait. Ce n’était plus le même homme. Il ouvrit précautionneusement l’emballage, regardant avec émotion les petites graines posées sur le fin tissu.
— J’ai du mal à la faire pousser. Vous dites des ruines ? Je vais essayer, fit-il. La Parduna est parfaite contre les morsures de vipère. Mais il m’en faut pour les abbayes-filles : Le Breuil-Benoît, Villers-Canivet, Saint-André-en-Gouffern, Aulnay, l’Abbaye-Blanche, et j’en oublie. Nos frères ont parfois bien du mal avec certaines variétés. Une année ça va, une année, la récolte se perd. Nos climats sont rudes.
L’apothicaire de Lessay se pencha :
— Je vous ai mis de côté du Diptamnum, il est si difficile à cultiver, mais tellement indispensable dans nos clos ! Sinon, quelques clous de girofle et de la muscade ramenés d’Orient par les chevaliers de l’Hôpital de la Villa Dei.
— Vous faites de moi un homme heureux, dit Aubré en mettant le sac que lui avait préparé le moine à sa ceinture. Mais j’allais oublier le Papaver.
Il sortit une petite fiole qu’il tendit à l’infirmier et sembla soudain s’apercevoir de la présence des deux hommes à ses côtés.
— Ah ! Jeune sire Tancrède ! s’exclama-t-il. Je suis content de vous voir ailleurs qu’à des funérailles.
— Moi aussi, mon frère, moi aussi, dit le jeune homme. Puis-je vous présenter mon maître, Hugues de Tarse ?
— Je ne vous savais pas apothicaire, fit ce dernier en s’inclinant. J’ai moi-même étudié la médecine à Cordoue. Mais il est vrai qu’avec la mort de la dame de l’Épine, nous n’avons guère eu le temps de nous entretenir.
Le visage du moine s’assombrit. Une vive émotion sembla le submerger.
— Et moi, je ne vous
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