Le Peuple et le Roi
bonnet à cet enfant, il a trop chaud », dit-il.
Puis il croise les bras, et de temps à autre désigne d’un
mouvement de tête Marie-Antoinette, lance comme un bateleur :
« Regardez la reine et le dauphin. »
Il est près de huit heures du soir. La foule a défilé durant
près de six heures, et la garde nationale ne fera évacuer le palais des
Tuileries qu’à dix heures.
« On nous a amenés pour rien, dit un sans-culotte. Mais
nous reviendrons et nous aurons ce que nous voudrons. »
Dans les faubourgs, les sans-culottes, au cours de la nuit
chaude, répètent que c’est bien plus facile d’entrer aux Tuileries ou à l’Assemblée
que de prendre la Bastille !
Ils y retourneront quand ils voudront !
Qui peut résister aux sans-culottes des faubourgs
Saint-Marcel et Saint-Antoine ?
« Le peuple s’est mis en branle, aujourd’hui 20 juin
1792, écrit à son frère, curé à Évreux, le libraire Ruault. Le
pouvoir exécutif a perdu tout crédit, toute considération. Un grenadier a
enfoncé sur la tête du roi un bonnet rouge gras et usé d’un savetier de la rue
d’Auxerre… Cette journée du 20, dit-on déjà, doit être suivie d’une autre qui
sera plus sérieuse. »
Et le procureur-syndic du département de la Seine, Pierre Louis
Rœderer, note : « Le trône est encore debout, mais le peuple s’y est
assis et en a pris la mesure. »
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Louis ne peut oublier ce cœur de veau ensanglanté, enfoncé
au bout d’une pique et que les sans-culottes ont agité devant son visage, et
puis il y eut au cours de cette dizaine d’heures, ce mercredi 20 juin 1792, cette
culotte pleine d’excréments, et ces pancartes : « Tremble, tyran, ton
heure est venue » ; ces potences tenues à bout de bras, comme des
jouets, auxquelles on avait suspendu une poupée « Madame Veto » et d’autres
qui portaient l’inscription « Gare à la lanterne ». Et il y eut ceux
qui brandissaient de petites guillotines.
Louis s’étonne. À aucun moment il n’a eu peur de cette foule
haineuse. Et pourtant il sait qu’un jour elle le tuera.
Il a accepté de porter, depuis ce 20 juin, un gilet de
quinze épaisseurs de tissu que la reine lui a fait confectionner car elle
craint qu’on ne le poignarde.
— Ils ne m’assassineront pas, ils me feront mourir
autrement, a dit Louis.
Il se souvient de l’avertissement de Turgot, c’était il y a
seize ans, au début du règne, en 1776 : « N’oubliez jamais, Sire, avait
dit Turgot, que c’est la faiblesse qui a mis la tête de Charles I er sur un billot. »
Louis n’a pas cédé aux sans-culottes qui criaient : « La
sanction ou la mort. »
Il n’a pas renoncé à son droit de veto. Et il ne cédera plus.
Mais peut-être, en effet, sa tête sera-t-elle tranchée comme celle du roi d’Angleterre.
Et l’on aura fait son procès. On l’accusera devant le peuple de trahison. On l’empêchera
de se justifier, afin qu’il n’apparaisse pas comme un martyr.
Mais il faut qu’il se prépare à ce moment qu’il pressent
proche.
Il entend, souvent en ces derniers jours de juin, les
tambours battre.
On lui a annoncé qu’une nouvelle manifestation était prévue
pour le 25 juin. Le tocsin a sonné, mais les cortèges se sont dispersés faute
de troupes.
Et on écrit au roi, de plusieurs départements, pour s’indigner
du traitement qui lui a été infligé, de l’humiliation subie, des menaces proférées.
Et à l’Assemblée, les Girondins sont inquiets de cette « journée
révolutionnaire », de ces pétitionnaires armés qui sont entrés dans la
salle des séances, avant d’envahir les Tuileries. Et les députés votent une
résolution interdisant que l’on soit sous les armes quand on se présente afin
de déposer une pétition à l’Assemblée.
Les députés vont même jusqu’à suspendre le maire de Paris, Pétion,
de ses fonctions. On le poursuit en l’accusant d’avoir toléré, organisé même, la
journée du 20 juin.
Louis a le sentiment que sa fermeté face aux sans-culottes a
suscité un mouvement de courage de la part des modérés, de ceux qui craignent
pour leurs biens, qui refusent le désordre.
Il faut les conforter, leur dire qu’il ne capitulera pas, utiliser
ce moment d’incertitude devant le nouveau saut à accomplir qui conduira à la
fin de la monarchie.
La municipalité de Marseille, qui a constitué un bataillon
de volontaires, de près de sept cents hommes, pour
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