Le Peuple et le Roi
rejoindre Paris, exige déjà « que
le pouvoir exécutif soit nommé et renouvelé par le peuple. Que peut être cette
race régnante dans un temps où tout doit être régénéré ? ».
Et à Paris un placard est affiché, dès le 23 juin :
« Nous nous levons une seconde fois pour le plus saint
des devoirs, y lit-on. Les habitants des faubourgs de Paris, les hommes du 14
juillet, dénoncent un roi faussaire, coupable de haute trahison, indigne plus
longtemps d’occuper le trône. »
Cela s’appelle la République.
Il faut répondre. Louis corrige les projets de déclaration
qu’on lui soumet. Il dicte, relit :
« Le roi n’a opposé aux menaces et aux insultes des
factieux que sa conscience et son amour du bien public. Le roi ignore quel sera
le terme où ils voudront s’arrêter, mais il a besoin de dire à la Nation
française que la violence, à quelque excès qu’on veuille la porter, ne lui
arrachera jamais un consentement à tout ce qu’il croit contraire à l’intérêt
public. Comme représentant héréditaire de la Nation française, il a des devoirs
sévères à remplir ; et s’il peut faire le sacrifice de son repos, il ne
fera pas le sacrifice de son devoir… »
Est-ce qu’il sera entendu ?
Les sections sans-culottes des faubourgs Saint-Antoine et
Saint-Marcel, derrière Santerre et Alexandre, sont toujours sous les armes, délibèrent
en permanence, nuit et jour. Elles s’ouvrent aux citoyens passifs. Elles
réclament la déchéance du roi. Elles s’indignent des poursuites engagées contre
Pétion. Elles acclament leur maire : « La vierge Pétion », ce
grand homme blond d’une beauté fade et d’un air doucereux, lâche et fourbe, un
vaniteux surtout, qui s’est imaginé lorsqu’il était assis, au retour de
Varennes, à côté de Madame Élisabeth, que la sœur du roi était troublée, séduite,
prête à succomber à son charme.
Mais le peuple est ainsi, hier fêtant La Fayette, et aujourd’hui
portant Pétion en triomphe et dénonçant en La Fayette un « intrigant »,
un « ennemi de la patrie », un « coquin et un imbécile », le
« plus grand des scélérats », accusé de trahison par Robespierre et
Couthon.
Et il est vrai que La Fayette a quitté son quartier général,
s’est présenté à l’Assemblée, a exigé le retour à l’ordre, a rêvé d’un coup d’État.
Il a imaginé passer en revue, avec le roi, les gardes
nationales. Il était persuadé qu’on le suivrait, et qu’on irait, au couvent des
Jacobins, disperser cette « secte qui envahit la souveraineté nationale et
tyrannise les citoyens ».
Louis se défie de ces « donquichotteries ». Il ne
désapprouve pas la reine lorsqu’elle dit : « Mieux vaut périr que d’être
sauvés par Monsieur de La Fayette. »
Il se tait lorsqu’elle lui annonce qu’elle va avertir Pétion
des intentions du général. Et le maire annule aussitôt la revue des gardes
nationales. Et il ne reste à La Fayette qu’à regagner son armée du Centre.
Et Paris reste dominé par ces sections sans-culottes des
faubourgs, des portes Saint-Martin et Saint-Denis, du Théâtre-Français.
Et on chante aux carrefours :
Nous le traiterons, gros Louis biribi
À la façon de barbarie, mon ami
Gros Louis, biribi…
« Nous marchons à grands pas à la catastrophe »,
confie l’ambassadeur des États-Unis, Gouverneur Morris.
Louis partage ce sentiment. Il sait que les sans-culottes
pensent que « la nation n’est pas seulement en guerre avec des rois
étrangers. Elle est en guerre avec Louis XVI et c’est lui qu’il faut vaincre le
premier si l’on veut vaincre les tyrans, ses alliés ».
C’est un étrange moment, comme celui qui précède l’éclatement
d’un orage. Après des rafales, on a l’impression que le vent faiblit. On fait
quelques pas, on se prend à espérer. Car les sans-culottes ne sont pas tout le
peuple.
Un visiteur qui parcourt la capitale écrit :
« Dans quelle autre ville que Paris, verrait-on tout à
la fois deux faubourgs mutinés contre la loi, la force publique armée couvrant
les rues et les places, les hommes de bien, tristes, abattus, mornes, noircis
du deuil de la douleur, l’asile des rois assiégé par une multitude égarée, toutes
les autorités incertaines et tremblantes, et d’un autre côté la moitié de la
capitale indifférente pour ce qui se passe dans un quartier éloigné du sien ;
chacun allant à ses affaires
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