Le Peuple et le Roi
leur faut du sang, mais le sang attire le sang, on commence par en répandre
quelques gouttes et l’on finit par des torrents et les tueurs sont tués à leur
tour, et voilà l’histoire de toutes les révolutions. »
On raconte comment, dans sa prison du Temple, la famille
royale est humiliée, insultée, persécutée même.
Un commis de librairie, Mercier, qui a été chargé de garder
le roi et sa famille, dit à Ruault que la « reine est tellement changée
depuis quatre mois qu’elle est là, qu’elle serait méconnaissable aux yeux même
de ceux qui la voyaient tous les jours : tous ses cheveux sont blancs, elle
paraît avoir plus de soixante ans ! ».
Lors des changements de garde, qui ont lieu tard dans la
soirée, on exige des prisonniers qu’ils ne se mettent point au lit à leur heure
habituelle.
« Quand la relève arrive, on leur demande de se mettre
en ligne, et un gardien dit en les désignant : “Voici Louis Capet, voici
Antoinette sa femme, Élisabeth sœur de Louis Capet, et les deux enfants mâle et
femelle de Louis XVI et d’Antoinette, je vous les remets tous sains et saufs, tels
que vous les voyez.”
« Pendant cette séance aucun d’eux n’ouvrit la bouche, ils
se laissaient compter comme des moutons. Quelle humiliation, grand Dieu ! Un
roi dans une telle situation doit désirer la mort la plus prompte. Un pauvre
particulier ferait bien le même souhait s’il était ainsi traité ! »
D’autres, au contraire, méprisent ce souverain déchu.
« Louis Bourbon, Louis XVI ou plutôt Louis dernier qui…
habite toujours la tour du Temple. Sa tranquillité ou plutôt sa stupide apathie
est toujours la même. Il ne paraît pas plus sentir ses malheurs que ses crimes »,
lit-on dans la Feuille villageoise .
Peindre ainsi Louis en homme stupide et donc inconscient de
la gravité de ses actes, et du moment qu’il vit, c’est aussi préparer l’opinion
à ce « qu’on oublie Louis XVI dans sa prison » puis, la victoire
acquise sur l’étranger, et elle semble à portée de main, on le proscrira.
C’est là le projet des députés de la Plaine, de nombreux
Girondins. Ils ajoutent :
« C’est l’avis de tous les Anglais qui ont embrassé
notre cause. Un roi chassé, disent-ils, n’a plus de courtisans, un roi tué se
fait plaindre, et cette compassion donne des défenseurs à sa famille. Tarquin n’eut
point de successeur, Charles I er d’Angleterre, décapité, en a encore. »
Louis mesure l’incompréhension ou la haine dont il est
victime.
Il leur oppose la prière, la conviction qu’il doit se
tourner vers Dieu, et que seule cette fidélité au Père éternel, et à son Église,
importe.
Il pense, il sait qu’il n’a jamais failli. Et donc que les
souffrances et les humiliations qui lui ont été infligées sont des épreuves
auxquelles Dieu le soumet.
Car Louis ne doute pas que le sacre qui l’a fait roi de
droit divin l’a distingué du reste des hommes, de ses sujets.
Et qu’il ne peut se soumettre à leurs lois qu’autant qu’elles
sont conformes aux exigences de sa foi, de sa fonction royale.
Et il n’a de comptes à rendre qu’à Dieu.
Il est informé par Cléry de ce qui se dit, s’écrit, se
prépare.
Son valet de chambre, qui a l’autorisation de voir sa femme
deux fois par semaine, lui rapporte ce qu’elle lit, ce qu’elle entend. Et Louis
est ému, quand il apprend que, sur l’air de Frère Jacques , on chante :
Ô mon peuple que vous ai-je donc fait ?
J’aimais la vertu, la justice
Votre bonheur fut mon unique objet
Et vous me traînez au supplice.
Et l’on murmure aussi la Complainte de Louis XVI dans sa
prison :
Grand Dieu j’élève à toi mon âme gémissante !
Sous les coups d’un bourreau je suis prêt à
mourir
Mais ne te présentant qu’une vie innocente
Du trône à l’échafaud, je marche sans pâlir.
Et à Cléry qui affirme que jamais Sa Majesté ne connaîtra le
supplice, que les Français ne sont pas un peuple régicide, Louis répond, d’une
voix calme :
« Ils me feront périr. »
Il ne craint pas le peuple, mais les conventionnels qui sont
sous la surveillance des sans-culottes. Et Marat, dès qu’il a été décidé que le
procès de Louis devant la Convention aurait lieu, a déposé une proposition
décisive : lors de tous les scrutins du procès, les votes auront lieu par
appel nominal et à voix haute.
La proposition de Marat est adoptée le 6
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