Le Peuple et le Roi
décembre, le jour
même où la Convention décrète que Louis Capet sera traduit à la barre pour y
subir son interrogatoire.
Chaque député dès lors sait que les « enragés »
installés dans les tribunes de la Convention « jugeront » son vote. Et
que c’est sa vie qu’il mettra en jeu, s’il se prononce en faveur du roi.
« Presque tous nos députés, note Manon Roland, en
décembre, alors que se succèdent les séances de la Convention consacrées au roi,
ne marchent plus qu’armés jusqu’aux dents. Mille gens les conjurent de ne
coucher ailleurs qu’à l’hôtel. La charmante liberté que celle de Paris ! »
On craint de manifester son opinion.
Et dès lors, comme le constatent les Annales
républicaines :
« Il règne dans cette ville, tranquille en apparence, une
fermentation sourde et alarmante pour les bons citoyens. Les opinions sur le
sort de Louis XVI s’y heurtent violemment. Les uns veulent qu’ils portent sa
tête sur l’échafaud, les autres, et c’est le plus grand nombre, étrangers à
toute autre passion qu’à celle du salut public, attendent dans un respectueux
silence la décision de la loi… On trouva avant-hier soir, dans la salle d’assemblée
de la section du Contrat social, plusieurs petits papiers semés par des
agitateurs : ils avaient en tête trois fleurs de lys et on y lisait les
deux mauvais vers suivants :
Si l’innocence est condamnée à mort,
Les assassins eux-mêmes en subiront le sort. »
Car des hommes veulent sauver le roi, par attachement à la
monarchie, ou par prudence, pour préserver leur avenir. Car condamner Louis XVI
à mort, si la monarchie un jour est rétablie – et certains le craignent et
certains le pensent probable –, c’est porter la marque infamante du régicide et
subir la vengeance du roi, qui pourrait être l’un des frères de Louis XVI, ou
ce petit dauphin qui se souviendra de sa prison du Temple, des peurs qu’il a
éprouvées.
Si le roi est exécuté, « les chemins seront rompus
derrière nous, dit le conventionnel Le Bas. Il faudra aller bon gré mal gré. Et
c’est alors qu’on pourra dire vivre libre ou mourir ».
Danton est persuadé de cela.
Il est convaincu que, « si le roi est mis en jugement, il
est perdu car en supposant même que la majorité de la Convention refuse de le
condamner, la minorité le ferait assassiner ».
Il accepte de recevoir un émigré, Théodore Lameth, ancien
député à la Législative, frère aîné d’Alexandre et Charles Lameth, eux-mêmes
députés feuillants.
Théodore arrive de Londres, pour tenter de sauver Louis XVI.
Il veut convaincre Danton, l’acheter peut-être, le persuader
qu’en jugeant – et condamnant – Louis XVI : « Vous allez à votre
perte en perdant la France. » Danton hausse les épaules, et répond :
« Vous ne savez donc pas qu’il faut passer par la sale
démocratie pour arriver à la liberté ? »
Lameth insiste :
« Ceux qui ont enfermé le roi dans la tour du Temple
croient peut-être avoir besoin d’un dernier crime, mais vous êtes, au moins
directement, étranger à la déposition du roi, à sa captivité. Sauvez-le, alors
il ne restera de vous que de glorieux souvenirs ! » Danton laisse
Lameth développer ses arguments en faveur du roi, et tout à coup l’interrompt, martelant
chaque mot de sa réponse :
« Sans être convaincu que le roi ne mérite aucun
reproche, dit Danton, je trouve juste, je crois utile de le tirer de la
situation où il est. J’y ferai avec prudence et hardiesse tout ce que je
pourrai ; je m’exposerai si je vois une chance de succès, mais si je perds
toute espérance, je vous le déclare, ne voulant pas faire tomber ma tête avec
la sienne, je serai parmi ceux qui le condamneront. »
« Pourquoi ajoutez-vous ces derniers mots ? »
« Pour être sincère comme vous me l’avez demandé. »
Il faut de l’argent pour mettre Danton en mouvement.
Le baron de Batz, émigré à Coblence après avoir été, constituant,
financier et conspirateur, Théodore Lameth, l’Espagnol Ocariz, agissant pour le
compte de Manuel Godoy, Premier ministre du roi d’Espagne, versent plus de deux
millions de livres pour l’achat du vote de députés à la Convention, parmi
lesquels Fabre d’Églantine.
Danton réclame deux millions supplémentaires. Mais cela ne
suffit pas. Et le Premier ministre anglais Pitt, et aussi le roi de Prusse ou l’empereur
d’Autriche refusent
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