Le Peuple et le Roi
assure-t-on
– papiers, plumes et crayons, parce que l’on craint qu’il ne communique avec
les ennemis de la République.
On l’a séparé de Marie-Antoinette et de ses enfants, ainsi
que de sa sœur Elisabeth, puis on a cédé devant les récriminations de la
ci-devant reine.
Ils sont de nouveau réunis, logeant aux différents étages de
la grande tour, qui malgré les poêles est glacée.
Louis Capet, puis le dauphin, et bientôt Marie-Antoinette et
Madame Élisabeth, et même le « bon » valet Cléry, sont frappés par la
grippe, se plaignent de « fluxion de tête ».
Qu’on la leur coupe, crient les plus enragés des
sans-culottes.
« La tête du tyran au bout d’une pique », scandent-ils
autour du Temple, qu’un « sang impur abreuve nos sillons ».
L’opinion se divise.
Juger Louis Capet ?
C’est un « scandale de délibérer », dit Maximilien
Robespierre. Il fait effort pour parler, plus pâle et plus poudré qu’à l’accoutumée,
s’arrachant à la maladie pour marteler :
« Louis fut roi, la République est fondée. La victoire
et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle ; Louis ne peut donc
être jugé ; il est déjà jugé. »
Près de lui, aux Jacobins, se tient ce jeune député, Saint-Just,
que l’on commence à écouter, parce que sa logique implacable fascine, comme sa
pâleur, son visage aux traits réguliers, cette lourde tête qui semble reposer
sur la cravate blanche largement nouée, qui forme co mm e une sorte de
jabot. Il a le regard fiévreux, le ton exalté.
On dit qu’il est fils de militaire, qu’il a été élève des
Oratoriens de Soissons, et qu’à Blérancourt, dans l’Aisne, il fut colonel de la
garde nationale, patriote résolu, mais jeune homme singulier, auteur d’un roman
libertin, licencieux, Organt .
Il partage les idées de Robespierre, et peut-être les
inspire-t-il ?
Il affirme, comme Maximilien, qu’ouvrir le procès du roi, c’est
contester l’insurrection.
« Les peuples ne jugent pas comme les cours judiciaires,
ils ne rendent point de sentences, ils lancent la foudre, ils ne condamnent pas
les rois, ils les replongent dans le néant. »
Et la conclusion de Maximilien tombe comme un couperet :
« Louis doit mourir. »
Mais Robespierre et Saint-Just ne sont pas suivis. Marat
veut un procès.
Il faut que le peuple juge ce Louis Capet, coupable d’avoir
depuis juin 1789 tenté de briser les espoirs des patriotes.
N’est-ce pas lui qui a organisé l’« orgie » des
cocardes noires à Versailles, le 3 octobre 1789 ! N’est-ce pas lui qui a
tenté de fuir, afin de rejoindre les émigrés !
Pagure, hypocrite, corrupteur, il a comploté avec ses frères
réfugiés à Coblence, ce comte d’Artois et ce comte de Provence complices du roi
de Prusse et de l’empereur d’Autriche !
Et n’a-t-il pas donné l’ordre, le 10 août, de massacrer les
patriotes qui, révoltés par le Manifeste de Brunswick , avançaient vers
les Tuileries ?
Louis Capet, ci-devant Louis XVI, est responsable de
milliers de morts ! Et on voudrait ne pas le juger ? Peut-être pour
dissimuler les noms de ceux qu’il a corrompus ? Il faut donc un procès.
Et le 3 novembre, un député de la Haute-Garonne, Mailhe, présente
un rapport qui conclut que le ci-devant Louis XVI peut être jugé par la
Convention.
« Ne voyez-vous pas toutes les nations de l’univers, toutes
les générations présentes et futures, attendre avec une silencieuse impatience,
dit-il, que vous leur appreniez si l’inviolabilité royale a le droit d’égorger
impunément les citoyens et les sociétés, si un monarque est un Dieu dont il
faut bénir les coups, ou un homme dont il faut punir les forfaits ? »
Les Girondins – Brissot, Vergniaud, Barbaroux, Roland – sont
favorables au procès.
Le peuple, pensent-ils, ne veut pas la mort du roi, mais il
faut bien donner des gages à cette minorité de sans-culottes, d’enragés, qui s’entassent
dans les tribunes de la Convention, et tiennent Paris.
Et une partie de l’opinion s’inquiète.
« Le procès du roi occupe ici tous les esprits, écrit
le libraire Ruault, toujours bon patriote. Les visages s’attristent, les cœurs
s’affligent, car on prévoit que le dénouement sera fatal au malheureux
prisonnier… Les forcenés dominent l’Assemblée qui doit juger cet infortuné
monarque, et les forcenés ne sont point capables d’une grande et belle action ;
il
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