Le Peuple et le Roi
ou
encore se promenant seul dans les combles de Versailles, faisant fuir les rats
ou les chats, montant sur les toits du château, les parcourant, apaisé par la
solitude.
Mais il lui faut retrouver ses appartements, sa chambre où
les courtisans l’attendent pour le cérémonial du grand lever ou du coucher
auquel il doit se plier, parce qu’il est le roi, et qu’ainsi le veut l’étiquette.
Il a fait heureusement aménager un corridor secret, capitonné
et toujours éclairé, par lequel il peut accéder en toute discrétion à la
chambre de la reine.
Mais pour des mois encore, ce sera une épreuve humiliante
que de se retrouver couché près d’elle, de ne pouvoir la féconder.
Il faut se retirer, avec ce sentiment d’impuissance, alors
que le comte d’Artois est déjà père, et que l’on jase sur cette incapacité du
roi.
On sait qu’il a vu les médecins, que certains continuent de
n’invoquer que sa nonchalance et sa paresse, mais que celui de la reine suggère
qu’un petit coup de scalpel, anodin, libérerait le roi d’un ligament qui l’empêche
non de pénétrer son épouse, mais de jouir en elle.
Cependant, peu à peu, parce qu’il échappe aux regards des
courtisans toujours aux aguets, prêts à dénombrer ses visites à la reine, vaines,
Louis s’accoutume à ce corps de jeune femme admirée, désirée.
Tous les jeunes aristocrates rêvent de l’approcher, de
participer à ses fêtes, à ses bals, d’être admis à Trianon où elle se retire
souvent, parce que la Cour et ses chuchotements malveillants la lassent.
On ne lui reconnaît que le charme, la séduction.
Elle est « la statue de la beauté », fière et sûre
de son impériale majesté. Mais on murmure qu’à un bal, en 1774, elle s’est
éprise d’un noble suédois, Axel Fersen, et qu’elle a succombé à sa virilité.
Louis veut ignorer ces rumeurs.
Il a confié au frère de Marie-Antoinette, Joseph, venu
incognito à Paris, ses « empêchements ».
« Paresse, maladresse et apathie », a conclu
Joseph, jugeant Louis XVI.
« Il faudrait le fouetter pour le faire décharger de
foutre comme les ânes, a ajouté Joseph, ma sœur avec cela a peu de tempérament
et ils sont deux francs maladroits ensemble. »
Et il morigène Marie-Antoinette :
« Vous rendez-vous nécessaire au roi ? Voit-il
votre attachement uniquement occupé de lui ?… Avez-vous pensé à l’effet de
vos liaisons et amitiés si elles ne sont point placées sur des personnes en
tout point irréprochables… Daignez penser un moment aux inconvénients que vous
avez déjà rencontrés au bal de l’Opéra et aux aventures que vous m’avez
vous-même racontées là-dessus. »
Louis écoute les conseils de Joseph, s’obstine, même si
chaque échec le blesse, accroît ses doutes.
Mais en même temps, il serait fort capable de soulever une
masse énorme à bout de bras, de forger, de raboter, de terrasser un sanglier, un
cerf.
Et finalement, le 18 août 1777, il réussit « la grande
œuvre », attendue depuis sept années.
Il exulte, écrit à Joseph qui a regagné Vienne : « C’est
à vous que nous devons ce bonheur, car depuis votre voyage cela a été de mieux
en mieux, jusqu’à parfaite conclusion. Je compte assez sur votre amitié pour en
oser vous faire ces détails. »
Lorsque la reine accouche d’une fille, Marie-Thérèse – qu’on
nommera Madame Royale –, le 19 décembre 1778, puis d’un fils Louis-Joseph en
1781 – mais il mourra en 1783 – et d’un second fils – le dauphin – en 1785 (une
fille née en 1787 décédera la même année), Louis manifeste sa joie.
Dieu a voulu que la monarchie française se prolonge.
L’ordre divin et l’ordre naturel se sont ainsi rencontrés
pour le bien du royaume de France et de ses souverains.
Ces naissances, après la cérémonie du sacre, confortent
Louis dans la certitude de sa légitimité, que Dieu vient à nouveau de lui
confirmer.
Il est le roi de droit divin et dès lors, c’est ce qu’il
décide qui est la « raison » du monde.
Mais cela ne fait en rien disparaître cette fêlure du doute,
qui sur le terrain de l’action le rend hésitant.
Cela renforce même son goût du secret, le droit qu’il s’attribue
de dissimuler ses pensées, de leurrer ses interlocuteurs, de désavouer des
ministres qu’il a d’abord soutenus.
On l’a vu agir ainsi avec Turgot. Et même son mentor
Maurepas, qu’il a nommé chef du
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