Le Peuple et le Roi
Conseil des finances après la disgrâce de
Turgot, en souffre :
« Le roi se déforme tous les jours au lieu d’acquérir, confie
Maurepas à l’abbé Véri. J’avais voulu le rendre un homme par lui-même, quelques
succès me l’avaient fait espérer. L’événement me prouve le contraire et je ne
suis pas le seul à le remarquer car d’autres ministres me l’ont pareillement
observé… Souvent il m’échappe par son silence indécis sur des affaires
importantes et par des faiblesses inconcevables pour sa femme, ses frères et
ses alentours… »
Et le frère de Marie-Antoinette, après son séjour à Paris, conclura :
« Il n’est maître absolu que pour passer d’un esclavage
à l’autre… Il est honnête mais faible pour ceux qui savent l’intimider et par
conséquence mené à la baguette… C’est un homme faible mais point un imbécile :
il a des notions, il a du jugement, mais c’est une apathie de corps comme d’esprit. »
Louis n’ignore pas ce que l’on pense de lui, mais il ne
cherche pas à détromper ceux qui le jugent sévèrement.
Il hésite ? Il doute au moment de prendre ses décisions ?
Mais au centre de sa personne il y a un bloc infrangible, des
certitudes sur lesquelles glissent les événements quotidiens. Si l’on veut
ébrécher, briser ce cœur de son caractère et de ses convictions, on n’y réussit
pas.
Quand, en 1778, Voltaire fait un retour triomphal à Paris, du
Trianon de Marie-Antoinette aux salons de la Chaussée d’Antin, où Madame Necker
reçoit Marmontel et Grimm, l’abbé Raynal, Buffon et Diderot, et tous les
esprits « éclairés », on l’acclame.
L’Académie française rend hommage au patriarche de
quatre-vingt-quatre ans, dont la pensée, les œuvres « illuminent » l’Europe,
de Londres à Berlin et à Saint-Pétersbourg.
Mais Louis XVI malgré cette unanimité refuse de le recevoir.
Il ne cédera ni à l’opinion de la Cour et de la Ville, ni à
Marie-Antoinette qui veut faire aménager une loge pour Voltaire, près de celle
du roi, à l’Opéra.
Voltaire, dont Louis a acheté les œuvres qui figurent en
bonne place, dans sa bibliothèque, au-dessus de sa forge, et qu’il a lues, est
un ennemi de l’Église et donc de la monarchie de droit divin. Il ne reçoit pas
l’homme qui s’est donné comme but d’« écraser l’infâme », la Sainte
Eglise apostolique et romaine.
C’est Madame Necker qui ouvrira une souscription, pour faire
ériger une statue de l’ermite de Ferney.
Et à la mort de Voltaire, le 30 mai 1778, point de
célébration officielle, mais un enterrement loin de Paris, où, habilement, les
proches de l’écrivain obtiennent qu’il soit religieux, alors que dans la
capitale la hiérarchie de l’Église soutenue par Louis XVI était réticente.
C’est dire que, pour ce qui lui semble essentiel, Louis XVI
ne transige pas, sait s’opposer à son entourage. Ne pas se confier à la reine, dont
il n’ignore pas qu’elle ne cache rien à l’ambassadeur d’Autriche.
Or, les affaires étrangères sont le domaine où Louis XVI, guidé
par son ministre Vergennes, a une politique, qu’il garde aussi longtemps qu’il
le peut secrète.
Il signe, le 6 février 1778, un traité d’alliance avec les
États-Unis d’Amérique, et cela implique la guerre avec l’Angleterre.
Les jeunes nobles suivent La Fayette, s’enrôlent pour aller
combattre en Amérique, d’abord comme volontaires, puis au sein d’un corps
expéditionnaire de 6 000 hommes, commandés par le général Rochambeau.
Étrange alliance, puisqu’elle en vient à aider ces « républicains »
américains, qui en 1781 se donnent une Constitution.
Pour les tenants des réformes, c’est un modèle à imiter.
Et comment éviter la contagion américaine, quand les Insurgents soulèvent tant d’enthousiasme, quand, à Londres même, huit jours d’émeutes
embrasent la ville, qu’on y réclame l’instauration du suffrage universel, un Parlement
renouvelable chaque année, élu à bulletin secret ?
Ce programme radical a des échos en France. Les gazettes
vantent à la fois la guerre contre l’Angleterre, la Constitution américaine et
les radicaux anglais.
Comment le royaume de France, le premier à avoir reconnu les
États-Unis d’Amérique, pourrait-il ne pas suivre la voie des réformes profondes ?
Et d’autant plus que la guerre d’Amérique est un gouffre à
finances, que la banqueroute menace, et
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