Le Peuple et le Roi
1781.
C’est un choc brutal pour cette opinion qui a soutenu Necker.
Une déception plus forte encore que celle qui avait suivi la disgrâce de Turgot.
Une faille s’est ouverte dans le royaume.
Que peut le roi ? Que veut-il ?
Les esprits éclairés rêvent d’Amérique, d’assemblée, de vote,
d’égalité et de justice.
On accuse la reine d’être responsable de la démission de
Necker. Elle a au contraire entretenu de bons rapports avec lui. Mais le roi
est épargné. Il reste de droit divin, alors que la reine n’est qu’une « Autrichienne
frivole », dont le cœur est à Vienne et non à
Paris. Grimm, qui écrit et anime la Correspondance
littéraire , note, après la démission de Necker :
« La consternation était peinte sur tous les visages ;
les promenades, les cafés, les lieux publics étaient remplis de monde, mais il
y régnait un silence extraordinaire.
« On se regardait, on se serrait tristement la main. »
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Louis détourne la tête, s’éloigne d’un pas lent et lourd, son
visage boudeur exprime l’ennui et même du mépris.
Il ne veut plus qu’on lui parle de Necker, de l’état de l’opinion,
de ces esprits éclairés, et parmi eux des grands seigneurs, et même le duc d’Orléans,
qui fréquentent le salon de Madame Necker, rue de la Chaussée-d’Antin.
Ces beaux parleurs critiquent les nouveaux contrôleurs des
Finances, qui se sont succédé, Joly de Fleury, Lefèvre d’Ormesson, et
maintenant Calonne, cet intendant aimable, disert, bien en cour, qui d’une
plume acérée a révélé les subterfuges de Necker et contribué à son départ.
C’est lui qui doit désormais faire face au déficit, mais qui,
habilement, en multipliant les emprunts, en jouant sur le cours de la monnaie, favorise
la spéculation, obtient le soutien des financiers, des prêteurs, et crée un
climat d’euphorie.
Les problèmes ne sont que repoussés, aggravés même, prétend
de sa retraite Necker, mais la morosité et la déception qui ont suivi sa
démission se dissipent.
Voilà qui confirme Louis dans son intime conviction : les
ministres passent ; les crises, même financières, trouvent toujours une
solution, l’opinion varie, va et vient comme le flux et le reflux, seuls le roi
et la monarchie demeurent.
Et les voici renforcés, célébrés, puisque, le 22 octobre
1781, ému jusqu’aux larmes, Louis peut se pencher sur Marie-Antoinette qui
vient d’accoucher de son premier garçon et lui murmurer :
« Madame, vous avez comblé mes vœux et ceux de la
France : vous êtes mère d’un dauphin. »
Et il pleure de nouveau lorsqu’il apprend qu’à Paris, à la
nouvelle de la naissance d’un héritier royal, la foule a manifesté sa joie, dansant,
festoyant, s’embrassant. Et les dames des Halles, venues à Versailles, ont
célébré en termes crus la reine.
Semblent envolés tous les pamphlets, où l’on critiquait l’Autrichienne,
accusée d’infidélité, voire de préférer ses favorites et leurs caresses à son
mari ! Ou bien de s’être pâmée dans les bras de cet officier suédois, rencontré
à un bal masqué de l’Opéra, en 1774, de l’avoir retrouvé en 1778, toute
troublée, toute séduction, ne cachant même pas l’attirance pour ce comte Axel
Fersen, parti, avec l’armée de Rochambeau, aider les Insurgents d’Amérique.
Le climat a donc changé. Un dauphin, l’argent facile grâce
aux emprunts et aux habiletés de Calonne.
Et puis, la victoire des troupes françaises et des Insurgents contre les Anglais à Yorktown ; et plus de sept mille tuniques rouges qui
se rendent !
Gloire à l’armée du roi, fête à Paris pour célébrer le « héros
des Deux Mondes ». La Fayette, rentré en janvier 1782, est fait maréchal
de camp. Feu d’artifice, traité de Versailles avec l’Angleterre en 1783, revanche
de celui de Paris en 1763.
Le roi a-t-il jamais été aussi populaire ?
Benjamin Franklin le célèbre comme « le plus grand
faiseur d’heureux qu’il y ait dans ce monde ».
Et plus encore on associe le roi à cette Révolution de l’Amérique qu’exalte dans ce livre l’abbé Raynal.
Qui pourrait dissocier Louis XVI qui a permis la victoire
des Insurgents , et la politique de réforme ?
Ce roi-là est bon.
On le voit, dans les villages qu’il traverse ou visite, faire
l’aumône aux paysans misérables, accorder à certains d’entre eux une pension à
vie.
Car la faim et le froid tenaillent le
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